Jeunesse Dès 14 ans
Annelise Heurtier
Entre leurs mains
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Annelise Heurtier
Entre leurs mains
Casterman
22/01/2025
288 pages, 15,90 €
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Chronique de
Chloé Morabito
Librairie Sauramps Odyssée (Montpellier) - ❤ Lu et conseillé par 24 libraire(s)
✒ Chloé Morabito
(Librairie Sauramps Odyssée, Montpellier)
Entre leurs mains traite d’une tragédie humaine, les blanchisseries de la Madeleine, et montre combien le désir égoïste d’un homme et les mœurs étriquées peuvent conduire aux pires inhumanités. Un récit bouleversant qui puise sa lumière dans l’amour et l’espoir qu’il transmet.
Comment vous est venue l’idée d’écrire à propos des blanchisseries de la Madeleine ?
Annelise Heurtier Pour moi, les idées sont comme des graines de fleur. Elles sont là, en dormance, partout autour de nous, parfois en évidence, parfois un peu cachées. J’essaie d’être suffisamment curieuse, ouverte sur le monde et sur l’altérité pour pouvoir les repérer et me demander lesquelles j’ai vraiment envie de faire germer. Concernant les Couvents de la Madeleine, j’ai trouvé cette graine il y a longtemps, en 2007, quand le scandale des squelettes de bébés de Tuam a été révélé au grand jour. J’ai été bouleversée et j’ai ressenti le besoin d’écrire sur ce sujet. J’ai mis plus de quinze ans à trouver un scénario permettant d’y insuffler la lumière qui me semble indispensable en littérature de jeunesse.
Alors qu’il s’apprête à commettre l’irréparable envers sa petite amie, Finnegan rencontre Deirdre, une ancienne Maggie. Pourquoi avoir choisi de confronter ces deux personnages ?
A. H. J’ai toujours beaucoup de mal à répondre à ce genre de questions. Cependant, je les trouve intéressantes car elles me donnent l’occasion de m’interroger sur les mécanismes inconscients à l’œuvre dans mon processus de création. Je ne peux faire l’analyse qu’a posteriori car je ne poursuis pas de démarche pour arriver à un résultat que je me serais fixé en amont. Tout cela se construit de manière intuitive, un peu à l’instinct. Parfois, tout se met en place très vite, parfois, c’est plus long, comme pour ce roman. On garde le sujet en tête et puis un jour, à la faveur d’un mot, d’une interrogation, d’une situation, la graine qui semblait morte commence sa croissance. En l’occurrence, c’est la thématique du consentement dont on parlait beaucoup moins il y a quelques années, qui m’a permis de faire avancer ce projet. Dans la multitude de fils à tirer à partir de cette notion, il y a le fait que dans les cas d’agression sexuelle et/ou de viol, la vie tout entière de la victime peut basculer en quelques minutes. Quelques minutes qui, parfois, n’ont même pas d’importance pour l’agresseur, qui ne se rend pas compte de son acte, le minimise ou ne veut pas le voir, ou que sais-je encore. Confronter Finnegan et une ancienne Maggie était certainement la manière la plus évidente pour moi d’illustrer cette dichotomie. Les Couvents de la Madeleine sont une allégorie parfaite de la vie de souffrance et d’enfermement auxquelles peuvent être confrontées les victimes, à cause de ces quelques minutes pendant lesquelles elles ont été niées, réifiées.
L’histoire de Deirdre fait écho à toutes ces jeunes femmes qui ont perdu injustement leur liberté et leur dignité. Est-ce pour vous une façon d’entretenir le devoir de mémoire ?
A. H. Oui, probablement. Je crois que j’aime l’idée de donner une voix à celles et ceux qui n’en ont pas forcément, même si cela implique un travail de titan en amont et même si cela m’a parfois exposé à des critiques. On m’a reproché d’écrire sur des sujets pour lesquelles je ne serais pas « concernée ». Il me semble pourtant que l’on peut être bouleversé, concerné en tant qu’humain par des situations qu’on n’a pas vécues. Avoir envie d’en parler, peut-être pour dépasser un sentiment d’impuissance ou d’inutilité, ne me semble ni condamnable, ni dénué d’intérêt.
L’intrigue joue sur plusieurs temporalités et comporte une dimension mystique. Pourquoi ce parti pris ?
A. H. Cette incursion dans le mystique et le surnaturel (desquels je ne suis habituellement pas coutumière) s’est imposée naturellement lors de l’élaboration du scénario. Arriver à sublimer la souffrance, comme le fait Deirdre, me semble être une expérience d’une infinie puissance. Alors j’en ai fait une magie au sens propre qui permet à Deirdre d’offrir à Sinead (son âme sœur, sa meilleure amie) une deuxième chance.
Votre roman, qui accorde une place importante au consentement et au libre-arbitre, serait-il une ode à la liberté ?
A. H. Est-ce qu’on est vraiment libre ? Vaste question. La plupart des femmes ne sont pas conscientes des injonctions auxquelles elles obéissent, la plupart des hommes sont conditionnés par un système qu’ils n’ont jamais été encouragés à interroger. Moi-même, je me questionne beaucoup sur ma latitude d’action, sur ce qui m’appartient vraiment, sur la différence entre ce que je crois faire et ce que je fais vraiment. Concernant la liberté, ce roman serait donc davantage un questionnement plutôt qu’une ode.
Le soir de la fête de Beltane, Finnegan et Neve sont sur le point de consommer leur amour dans les bois mais le jeune homme, aveuglé par son désir, ne se rend pas compte que sa petite amie souhaite finalement tout arrêter. Alors qu’il s’apprête à commettre un acte irréparable, une mystérieuse femme les surprend. Finnegan, dérouté, se rend jusque chez elle et la femme, prénommée Deirdre, décide de lui conter son passé de Maggie. Considérée injustement comme une fille « perdue » à l’âge de 17 ans, ses parents l’abandonnent dans une blanchisserie afin d’expier son prétendu péché. C’est alors que commencent pour elle des années de sévices, de souffrance et d’humiliations qui marqueront sa vie à jamais.