Littérature étrangère

Jane Mendelsohn

American Music

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photo libraire

Chronique de Diane Maretheu

Maison d'édition L'Iconoclaste ()

Des années folles au conflit en Irak, en passant par les années 1960, Jane Mendelsohn nous invite à une traversée du xxe siècle aux états-Unis. Son troisième roman manie les styles et les époques avec une franche et singulière réussite.

1936. Joe est saxophoniste et forme avec Pearl un couple heureux. L’arrivée dans leur vie de Vivian, la cousine de Pearl, va tout bouleverser.

1969. à Saigon, puis de retour à la Nouvelle-Orléans, Iris, enceinte, assiste au procès militaire de son époux mobilisé pendant la guerre du Viêt-Nam.

1623. Parvin s’apprête à être intronisée favorite du sultan. Elle tombe amoureuse de Hyacinthe, l’eunuque chargé de sa protection.

2005. Honor, kinésithérapeute, masse toutes les semaines Milo, vétéran d’Irak. Au cours de leurs séances, tous deux ont des flash-back, des sortes de visions. Quand leurs corps sont en contact, leur apparaissent tous ces couples vivant à différents moments charnières de l’Histoire. Le trio amoureux en 1936 ; le couple en perdition en 1969 sont autant de couples, de duos comme prémisses au leur, peut-être. Ces visions appellent l’incompréhension, puis le questionnement : est-ce Milo qui porte dans son corps toutes ces histoires, réactivées par les massages d’Honor, ou est-ce la jeune femme qui transmet ses propres démons à son patient ? Rapidement, ils se familiarisent avec ces personnages, en parlent, s’interrogent sur les chemins qu’ils vont choisir d’emprunter et sont autant spectateurs que nous.

Comment vivait-on en Amérique à toutes ces époques ? C’est ce que tente de nous montrer Jane Mendelsohn. Comment on s’aime ? Peut-être tous de la même façon, avec difficulté, mais envie, désir d’être avec l’autre, quoi qu’il en coûte. Le récit file la métaphore du corps comme porteur de son histoire personnelle et de celles de ses aïeux. Milo est un rescapé traumatisé de la guerre en Irak et se laisse difficilement apprivoiser. À force de patience et de persévérance, Honor met petit à petit en place une confiance entre eux. Le corps mutilé du jeune homme devient le terrain d’exploration des deux jeunes gens.

Ces personnages n’entrent pas dans leur vie par hasard. Le roman se chargera d’éclairer la lanterne du lecteur, tout en laissant un suspense, ne dévoilant que progressivement les éléments décisifs. « Alors nous sommes les aveugles qui mènent les aveugles » comme le dira Milo. Les va-et-vient incessants entre tous les personnages imposent un rythme au roman. C’est comme si le lecteur dansait sur différents tempos, l’obligeant à changer constamment de rythme. On ne s’ennuie pas une seconde, pris dans le fil de tous ces destins croisés, impatient de connaître la suite, trépignant pour qu’enfin le canevas se dénoue et que le fin mot de cette histoire soit révélé. Jane Mendelsohn fait se croiser les registres et les histoires avec une très grande habileté. Ce roman, capable en quelques pages de poser une histoire aux accents orientaux et, le paragraphe suivant, un récit tout à fait contemporain dans le monde occidental d’aujourd’hui, mérite que l’on s’y arrête. Un récit d’une originalité folle ; rarement l’héritage et la filiation n’avaient été traités sur ce mode. C’est inédit, singulier. Ça change et ça fait du bien !