Bande dessinée

Tardi

Ô dingos, ô châteaux !

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photo libraire

Chronique de Géraldine Despaty

Librairie Sauramps Comédie (Montpellier)

Tardi retrouve les polars de Manchette pour la troisième fois. Après Le petit bleu de la côte Ouest et La position du tireur couché, il adapte un roman paru en 1973 et couronné par le Grand Prix de Littérature policière. En avance sur son temps, ce roman préfigure l’ère du roman noir français.

Ô dingos, ô châteaux ! est construit sur le modèle d’un road movie à l’américaine, avec trois personnages principaux : un tueur à gages, une victime et un commanditaire. Le tueur à gages, torturé par de violents maux d’estomac, ne trouve l’apaisement que lorsque ses « clients » sont effectivement liquidés et qu’il a mené à bien son travail. Dans l’affaire qui nous occupe, il reçoit mission d’organiser l’enlèvement d’une jeune nurse et du gamin dont elle a la charge. Cette nurse, toujours accompagnée du petit garçon, se révèle être une femme fragile fraîchement sortie d’un hôpital psychiatrique, qui carbure à l’alcool et aux antidépresseurs. Le commanditaire, quant à lui, a élaboré un plan parfait pour se débarrasser de la femme et de l’enfant, un plan mûri depuis quelques années dont la clé est l’instabilité mentale de la jeune nurse. Mais c’est justement cette instabilité qui va produire le vilain grain de sable apte à enrayer la belle mécanique du crime parfait, précipitant sur les routes de France tout ce beau monde. On vient de le dire, Tardi adapte ce roman de Manchette après avoir déjà travaillé sur deux de ses textes. La réunion en coffret des trois albums offre l’avantage de se faire une idée précise de l’univers de ces deux grands auteurs français. On connaît les préoccupations de Tardi, préoccupations politiques, pacifistes, sociales qui s’expriment à travers ses images de soldats envoyés au front comme à l’abattoir par des généraux rarement en première ligne, ses personnages de petites gens victimes de la cupidité des puissants mis en scène dans ses adaptations de la série Nestor Burma de Léo Malet, ou son héroïne, Adèle Blanc-Sec, en décalage avec la société dans laquelle elle vit, mais qui refuse de se laisser soumettre. Les thématiques imprégnant l’œuvre de Tardi se retrouvent dans ce nouvel album, où l’héroïne, sincèrement désireuse de comprendre pourquoi on lui en veut tout en continuant irrépressiblement à s’abrutir parce qu’elle veut fuir l’horreur de la société, rappelle par certains aspects le personnage d’Adèle Blanc-Sec – dans son entêtement à protéger l’enfant dont elle a la charge, par exemple. Chez Tardi, il y a toujours une sourde ironie qui vient, à un moment ou à un autre, désamorcer la tragédie en contrecarrant les sombres projets du méchant. Ce sera le cas ici aussi… Tardi nous entraîne dans une fascinante course-poursuite sur les routes de France, en compagnie de personnages dont il brosse les traits en quelques cases de façon magistrale. Une incontournable merveille !