Essais
Stéphane Lavignotte
Les Religions sont-elles réactionnaires ?
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Stéphane Lavignotte
Les Religions sont-elles réactionnaires ?
Textuel
10/09/2014
139 pages, 13,90 €
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Chronique de
Raphaël Bourgois
Média Radio France (Paris) - ❤ Lu et conseillé par 1 libraire(s)
✒ Raphaël Bourgois
(Média Radio France, Paris)
Réconcilier la gauche et les religions… la tâche peut sembler désespérée, peut-être même inutile. C’est pourtant le défi que s’est fixé Stéphane Lavignotte. Il est convaincu que l’on ne peut aujourd’hui faire l’impasse sur ce sujet incontournable, au risque de l’abandonner à la droite et à l’extrême droite.
Dans un court essai très stimulant, ce pasteur et théologien qui se présente comme engagé dans l’écologie et la gauche alternative, et qui incarne donc son objet dans toute sa complexité, se propose de démontrer que les religions ne sont pas forcément réactionnaires. Voilà pour le projet. Pour y parvenir, Stéphane Lavignotte propose un mélange d’approche historique et sociologique. Il s’emploie dans un premier temps à « de-essentialiser » les religions. Il faut noter l’emploi du pluriel. Le « fait religieux » est avant tout une construction, ancrée dans une époque et une société. Ce sont des images et des réalités multiples. Plus original, l’idée que, en France, on penserait encore trop les religions selon un prisme catholique. La preuve, cette demande insistante et réitérée faite aux musulmans de s’unifier au sein d’une seule et même institution représentative. Comme si les observateurs et les pouvoirs publics avaient absolument besoin, dans leur relation aux religions, d’une sorte de Vatican. Ce qui empêcherait de penser une place pour l’islam en France, et spécifiquement des musulmans, comme militants de gauche. Car l’auteur en est persuadé, les grands moments de l’histoire de la gauche sont ceux où elle tend la main aux croyants. C’est d’ailleurs l’objet du travail historique mené dans cet essai. Lavignotte revient sur des épisodes peu connus, qui lient religion et lutte des classes. Il rappelle qu’en 1964, à l’occasion de l’anniversaire des 500 ans de la mort de Calvin, le Parti communiste français avait organisé à la Mutualité une rencontre sur le thème « Réforme humaine, réforme chrétienne ». Chaque année, entre 1961 et 1965, se déroulait la Semaine de la pensée marxiste, à laquelle participaient des chrétiens comme le pasteur et professeur d’éthique André Dumas. Inimaginable aujourd’hui. Ce rapprochement intellectuel se caractérisait alors aussi par des engagements militants d’ouvriers chrétiens au PSU. Cela n’a pas duré, car le décalage social s’est avéré trop grand. Confrontés aux débats théoriques et aux manœuvres d’appareil, les militants se sont découragés. Le parallèle est évident avec l’incapacité à intégrer aujourd’hui des militants croyants, musulmans, de milieux populaires. Or, se priver des croyants, c’est se priver d’une force de subversion, de questions nécessaires au renouvellement de la gauche. L’enjeu, c’est aussi de pouvoir inclure des minorités pour penser plus et penser différemment. « Le Royaume de Dieu est conservateur quand il sert à faire attendre demain. Il est révolutionnaire quand des groupes disent qu’il se réalise ; s’anticipe ou produit des effets ici et maintenant […] Dans des situations où l’État ou le marché saturent l’espace social de leur rationalité et représentations, les religions sont subversives en suggérant un autre possible ».