Littérature française

Philippe Claudel

L’Arbre du pays Toraja

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photo libraire

Chronique de Muriel Gallot

Librairie L'Intranquille (Besançon)

Confronté au deuil, un cinéaste quinquagénaire produit une réflexion lumineuse et grave qui célèbre la vie à travers le souvenir de ses disparus, mêlant la beauté des liens tissés entre les êtres et le pouvoir de la création.

Au printemps 2012, le narrateur découvre lors d’un voyage en Indonésie un étrange rituel. Là-bas, au pays Toraja, les jeunes enfants ayant quitté ce monde sont confiés au tronc d’un arbre sacré qui se nourrit de leurs âmes et les portent vers le ciel. Ici, de retour chez lui, il est confronté à la disparition de son meilleur ami et producteur, Eugène, victime d’un « vilain cancer ». Ces événements enfantent ce « récit libre de sa forme », où le narrateur questionne le deuil, le vieillissement des corps, la réticence de nos sociétés à intégrer les défunts dans le cycle de la vie. Il s’interroge sur notre façon d’appartenir à la vie : « Quel est le plus haut degré du vivant ? » L’amour des autres et leurs regards sur nous ? La création et son imaginaire infini ? Avec son écriture évocatrice et sensible, il nous livre le souvenir de son amitié avec Eugène, source d’échanges moteurs, ses amours passées et présentes, Florence, son point d’ancrage, Elena, son tendre avenir. Et puis ses rencontres avec Piccoli ou Kundera, le film sur lequel il travaille, dans lequel il imagine un robot qui conserverait la mémoire de l’humanité. Conserver pour mieux survivre ? « Vivre, en quelque sorte, c’est savoir survivre et recomposer. » Cette question essentielle subsiste. Comment garder en nous la mémoire de ceux qui ne sont plus ? L’Arbre du pays Toraja est le dépositaire de cette mémoire. Ce livre, c’est l’arbre de son propre pays, avec ses racines incertaines et fortes au pied desquelles Claudel dépose la mémoire de ses chers disparus, une écorce nouée de petites âmes, trouée de questions et de peurs sur l’oubli et le temps qui passe. Dans le feuillage de son récit, un puissant souffle de vie, dont le bruissement est comme la bande originale de sa fabrique intérieure.