Essais

Daryush Shayegan

La Conscience métisse

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Chronique de Jean Nestor

Pigiste ()

La globalisation culturelle peut recréer l’espace de rencontre entre les traditions religieuses et philosophiques qu’avait fait disparaître le modernisme. Comme le suggère le récent printemps arabe, c’est une chance pour l’islam.

Ce recueil d’articles et d’entretiens illustre la thématique centrale de l’œuvre de Shayegan : la modernité, avec les Lumières puis le romantisme, a fait disparaître l’ imaginal médiéval commun aux courants culturels et spirituels en conduisant l’Occident à séparer l’intelligible du sensible, et l’art de la religion ; la post-modernité, en déconstruisant et en assumant à la fois son héritage, rend possible un New Age spirituel où pourraient à nouveau se métisser les traditions. Sans recréer l’imaginal médiéval, les bricoleurs post-modernes que nous sommes peuvent construire une identité récapitulative en utilisant la boîte à outils sans mode d’emploi que nous ont léguée la modernité et sa déconstruction.

L’histoire de la Perse et de l’Iran moderne illustre de façon emblématique ce possible cheminement parce que s’y était développé un syncrétisme spirituel particulièrement riche, dans lequel l’islam mystique du soufisme s’enrichissait des traditions aristotélicienne, néoplatonicienne, zoroastrienne et sanscrite. Le choc des Lumières a produit un repliement dogmatique de cet islam. L’ imaginal médiéval est devenu l’ entre-deux d’une conscience malheureuse, déchirée entre une modernité et une tradition religieuse qui se défigurent et engendrent le « cycle infernal de l’échec-humiliation-ressentiment » dont l’oxymoron « révolution islamique » est l’avatar le plus récent.

Mais la tradition ne propose aucune alternative aux acquis universels des Lumières que sont la séparation des pouvoirs contre l’arbitraire, les droits humains contre la barbarie et la pensée critique contre le dogmatisme et l’intégrisme religieux. Fort heureusement, la post-modernité, en dépassant la raison classique peut permettre de reconstruire, non pas l’ imaginal médiéval mais une méta-réalité transfigurant le réel sans le faire disparaître. Le « printemps arabe » de 2011 confirme la réalité de cet horizon avec « l’usage des réseaux sociaux, le manque de leadership, le potentiel pluraliste et démocratique ». L’auteur a la prudence de s’abstenir d’aller au-delà de ce constat d’ouverture de virtualités nouvelles, permettant à l’ouvrage de conserver un pouvoir stimulant d’évocation de perspectives imaginatives.

Pour autant qu’il évite de se laisser rebuter par un appareil critique et conceptuel inadapté au format de l’ouvrage, le lecteur trouvera dans une prose éloquente et flexible le véhicule d’une pensée qui, sans dogmatisme aucun, cherche son chemin au sein des racines enchevêtrées des multiples traditions dont elle est issue.

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