Essais

Dubravka Ugresic

Karaoké culture

MP

✒ Mélanie Péclat

(Pigiste , )

À l’ère des amateurs anonymes, où chacun peut participer à la création du savoir, se développe un monstre insidieux qui vide petit à petit le monde de son sens : la culture Karaoké.

La volonté communiste de démocratiser le savoir, l’art et la culture a trouvé son apogée dans l’invention et la diffusion de l’Internet, et est responsable de ce que Dubravka Ugresic appelle « la culture karaoké ». Celle-ci est fondée sur une rupture totale avec les ères culturelles précédentes, puisqu’elle propose une nouvelle forme de liberté où chacun peut participer à la construction de la connaissance de manière anonyme et, par conséquent, dénuée de toute responsabilité. Le développement des nouvelles technologies, et plus récemment des réseaux sociaux, a amplifié l’importance des amateurs anonymes, qui ont su profiter de leur mobilité et de leur rapidité pour parvenir à sortir d’eux-mêmes et à s’exhiber, tout en trouvant protection auprès des différentes communautés virtuelles auxquelles ils appartiennent. La révolution Internet a poussé les individus à dépasser la passivité de celui qui reçoit le savoir, mais n’en a pas fait pour autant des auteurs ou des créateurs. Suivant le modèle du chanteur de karaoké, tous ces individus anonymes ne font que copier, tout en les dévalorisant, ceux dont ils sont fans. L’ère des amateurs anonymes est en réalité celle des fans, se regroupant en communauté autour de l’objet de leur admiration. De fil en réseaux, ils ont insidieusement envahi la toile et pris le contrôle d’Internet, imposant au monde la dictature des amateurs anonymes, où le pouvoir de décider ce qui mérite ou non la reconnaissance appartient, non plus aux experts, mais à la masse. L’utopie de l’égalité des chances s’est réalisée dans le couronnement de la culture populaire, qui, pour s’imposer, a dû couper la tête des élites. Ce qu’exprime Dubravka Ugresic à travers cet essai, ce sont les sentiments d’une condamnée à mort vivant ses derniers jours.

Les autres chroniques du libraire