PAGE - Comment vous est venue l’idée audacieuse de réécrire ce livre mythique ? Quel est votre rapport à l’œuvre de Daniel Defoe ?
Philippe Limon — À l’automne 2016, je pensais beaucoup à Robinson Crusoé et je me suis donc mis à relire Defoe et Tournier en croyant me défaire de cette soudaine curiosité. Mais au contraire, plus je lisais et plus le personnage me fascinait. J’ai alors commencé à y songer différemment, à me sentir un peu naufragé moi-même, si j’ose dire. Puis, j’ai écrit quelques poèmes dans lesquels je faisais parler Robinson. Mon personnage s’est construit ainsi. Ensuite, j’ai eu l’idée de faire se rencontrer Robinson et Defoe, de les enfermer dans la bibliothèque de l’écrivain où Robinson raconterait son histoire tandis que Defoe la prendrait sous la dictée. C’est ce long tête-à-tête que j’ai voulu écrire. Je me suis mis à la tâche mais je me suis très vite rendu compte que je manquais d’air, d’espace et que j’avais envie de reprendre l’histoire là où elle commence vraiment, au moment du naufrage.
P. - Je n’ai pas pu m’empêcher de me souvenir du Robinson Crusoé de Defoe et de commencer à relire son récit. Comment avez-vous travaillé ?
P. L. — Relire Defoe est toujours une aventure et un plaisir. Mais le roman contient des parties que j’apprécie moins. J’aime surtout le récit des années passées sur l’île. C’est ce qui, je crois, nous reste en mémoire à tous. Quand je me suis mis à travailler, je souhaitais lui rester fidèle mais je devinais bien que, tôt ou tard, je devrais aussi m’en écarter parce que mon Robinson n’est en rien celui de Defoe. Il n’est pas vraiment un « héros ». J’ai donc choisi de conserver la chronologie initiale du récit et d’y insérer ensuite ma propre trame narrative.
P. - J’ai été séduite par la belle personnalité de votre Robinson : il paraît « humanisé ». Il aime dessiner, lire (mais plus la Bible). À qui destinez-vous votre roman ?
P. L. — Bien entendu, il ne s’agissait pas de me mesurer à Defoe ou à Tournier, cela aurait été parfaitement inutile et même présomptueux. Mais je tenais à proposer ma propre « réécriture ». Mon intention n’était pas à proprement parler de « dépoussiérer » le texte, comme on me le dit souvent, mais d’apporter ma modeste pierre à la cohorte des naufragés solitaires. Mon Robinson est peut-être un homme plus simple, plus contemplatif, un homme que la solitude et les soliloques rendent plus humain, plus sensible. Il ne lit effectivement plus le Livre, mais des livres, des romans qui lui serviront ensuite à éduquer Vendredi. Au fil du temps, il se découvre des aptitudes qu’il ignorait trouver un jour en lui. Ou bien ce sont les autres qui les lui font découvrir. Quand la première version du roman a été terminée, je me suis demandé pour qui je l’avais écrit. J’hésitais. Je ne le sais toujours pas d’ailleurs même si je l’ai retravaillé pour en faire un roman plutôt destiné à la jeunesse. Mais au fond, je crois que tout le monde peut le lire. Le mythe n’a pas d’âge, n’est-ce pas ?