Jeunesse

Carole Trébor

Libérez-vous, Exprimez-vous !

Entretien par Valérie Fèvre

(Librairie La Cabane à lire, Bruz)

Kolia et Lisa rêvent de théâtre et d’amitié. Leurs émotions et leurs doutes les aident à se construire et la scène est leur lieu d’expression. Avec beaucoup de souffle, Carole Trébor nous embarque à la poursuite d’un ours, fictif ou intime ; on chante, on rit, on pleure avec ces apprentis comédiens qui doucement choisissent leur vie.

C’est une histoire de théâtre, d’amitié, de dépassement de soi. C’est l’histoire de Kolia, Lisa et les autres, membres du club de théâtre Les Trois Coups, heureux de se retrouver sur les planches, au lycée, mais tristes d’apprendre que leur professeure de théâtre adorée, Patricia Valente, est très malade et qu’elle ne pourra pas assurer ses cours. Christophe, surveillant et apprenti comédien au Conservatoire, va prendre le relais. Tout semble bien s’organiser : Patricia leur demande de travailler Les Justes d’Albert Camus, pièce forte avec des personnages de caractère, et Christophe semble plutôt sympa. Mais le mari de Patricia veut lui préparer une surprise et leur demande de monter en secret la pièce qu’elle a écrite il y a quelques années, Merci l’ours. Cerise sur le gâteau : la pièce, autobiographique, est chantée. Et là commencent les difficultés. Christophe, trop peu expérimenté, est blessant et laisse peu d’espace d’expression aux jeunes. Les enjeux du projet sont lourds et exacerbent les sentiments humains – jalousie, colère, tendresse, joie. Ils vont passer par toutes ces émotions pour trouver leur propre chemin. Mais le jeu en vaut la chandelle. Et l’ours en eux n’attend qu’à s’exprimer.

 

PAGE — Vous avez écrit Merci l’ours, pièce au cœur du roman, en 2008. Elle a été montée et jouée à cette époque. Pourquoi avoir eu envie de revenir sur cette expérience en tissant une histoire autour d’elle ?
Carole Trébor — Le premier mail envoyé par Patricia à ses élèves a été le détonateur du roman : à partir du moment où je souhaitais parler de vocation théâtrale, de transmission et de résilience, je me suis naturellement tournée vers Merci l’ours qui évoque le désir artistique contrarié d’une chanteuse. Puis, le statut autobiographique que j’ai attribué à la pièce a orienté mes choix d’écriture : mon roman se situerait au bord du Rhône, au milieu des vignes. Patricia aurait une cinquantaine d’années et son tempérament, ainsi que celui de certains personnages secondaires, seraient fidèles à la pièce. J’ai pu aussi librement retravailler les dialogues pour qu’ils résonnent mieux avec les enjeux de mes héros adolescents. En outre, je gardais en mémoire nombre d’anecdotes qui ont eu lieu pendant la mise en scène réelle de Merci l’ours. Ces souvenirs – comme tous mes souvenirs théâtraux – m’ont inspirée et ont nourri l’écriture.

PAGE — Le théâtre est au cœur de votre roman. La passion du théâtre et des mots semble le moteur de l’histoire. Tout est fait pour que le lecteur dise le texte à haute voix. Est-ce une invitation à monter sur les planches ?
C. T. — Certains passages, notamment les extraits de la pièce et les chansons, peuvent être lus à haute voix. Si le roman provoque cette envie, j’en serais heureuse. Ce n’est pas seulement une invitation à monter sur les planches, c’est une invitation à s’écouter, à suivre ses passions, à oser faire des belles surprises à ceux qui nous aident à nous réaliser, à imposer ses choix, à y croire.

PAGE — Kolia est d’origine russe. Ce pays semble avoir beaucoup d’importance pour vous puisqu’on le retrouve souvent au cœur de vos romans. Pourquoi ?
C. T. — Parce que je parle russe et que j’ai vécu en Russie. En fait, je n’avais pas prévu l’histoire de Kolia quand j’ai commencé le roman mais elle s’est imposée à moi. J’ai bien connu une femme qui a vécu exactement la même chose que la grand-mère de Kolia. Je vivais chez elle à Moscou et je n’ai pas pu lui dire au revoir. Imaginer les regrets et la colère de Kolia, c’était une façon de parler d’elle et de lui rendre hommage.

PAGE — Vous avez utilisé plusieurs formes littéraires : le roman, le théâtre, la comédie musicale et la correspondance. N’avez-vous pas peur de dérouter vos lecteurs par ce mélange des genres ?
C. T. — J’ai toujours été une adepte du mélange des genres : ma thèse était à la croisée de l’Histoire et de l’Histoire de l’art, mon premier roman historique et fantastique. Quant à U4 (Nathan/Syros), c’était une aventure littéraire collective (très) bousculante pour les auteurs et les lecteurs. En écrivant Libérez l’ours en vous, je cherchais un équilibre entre le fil narratif du roman et le déroulé de la pièce entremêlée : il s’agissait de ne pas m’éloigner trop longtemps des héros tout en insérant des extraits de Merci l’ours assez longs pour permettre au lecteur de s’approprier aussi la pièce. Il m’a semblé que la présence concrète des dialogues théâtraux intensifiait le sentiment de réel et renforçait l’empathie envers les personnages en répétition. Le pire, c’est qu’au départ, mon challenge était d’intégrer toute la pièce dans le roman, de tisser des liens entre les deux récits et de les suivre en parallèle. Cette dualité s’est avérée impossible : les personnages du roman ont bien sûr pris le dessus sur ceux de la pièce ! Je ne me suis pas demandé si mes lecteurs seraient déroutés. Mais j’ai quand même donné le roman à lire à ma fille ado. Quand elle m’a dit qu’elle aimait bien découvrir la pièce au fur et à mesure et voir les personnages répéter parce qu’elle avait l’impression d’y être vraiment, j’ai envoyé mon manuscrit à l’éditrice ! Finalement, être déstabilisé pendant une lecture, ce n’est pas forcément désagréable. Il me semble même que les lecteurs ados n’attendent pas un genre précis, ils sont plutôt ouverts, ils se laissent embarquer. Et ils sont habitués à communiquer simultanément avec une multitude de réseaux – textos, Snapchat, WhatsApp, mails… Que les romanciers s’en emparent, s’amusent à mélanger les nouveaux moyens de communication (et leurs langages) à d’autres formes littéraires plus anciennes, ça ne m’étonne pas.

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