Littérature française

Véronique Olmi

Une grâce

Entretien par Manuel Hirbec

(Librairie La Buissonnière, Yvetot)

Bakhita touche et émeut profondément le lecteur, emporté par le destin et l’humanité de ce personnage singulier et universel. Un lecteur happé par le tissage romanesque et le souffle littéraire de Véronique Olmi qui révèle les blessures profondes tout en les guérissant par la grâce de ses mots.

Deuxième sélection du Prix Goncourt 2017

Deuxième sélection du Prix Femina 2017

Première sélection du Prix du Style 2017

 

PAGE — Comment avez-vous découvert Bakhita ?
Véronique Olmi — C’était l’été, je vivais en Touraine. Je suis rentrée dans une petite église à Langeais. Il y avait le portrait d’une jeune femme noire accompagné d’une brève biographie. Elle était née au Darfour en 1869. À l’âge de 5 ou 7 ans, elle avait été enlevée, prise par des négriers, mise en esclavage, achetée par cinq maîtres différents à travers tout le Soudan. Elle avait survécu aux longues marches dans le désert, aux mauvais traitements et à tout ce que l’on peut faire subir à une jeune esclave. À son adolescence, elle avait été rachetée à Khartoum par un consul italien. Arrivée en Vénétie avec lui à 16 ans, elle était devenue domestique et nourrice dans une famille italienne. Elle était rentrée pour quelques mois chez les sœurs canossiennes de Venise qui s’occupaient des orphelines. Elle a demandé à y rester. Il y a eu un procès retentissant à Venise parce qu’elle appartenait à sa maîtresse : elle a été affranchie. Elle est restée chez ces sœurs, elle est devenue religieuse, a traversé les deux Guerres mondiales et l’arrivée du mussolinisme. Elle a été canonisée par Jean-Paul II en 2000. Quand j’ai lu ces quelques lignes à Langeais, je ne savais pas encore qui elle était. Mais j’ai vu ce parcours fulgurant, inimaginable. Cela ne m’était jamais arrivé, c’était un coup de foudre, sans rapport avec la religion. Je suis partie à sa recherche. J’ai passé deux ans, non pas à essayer de vérifier ce qu’a été sa vie – c’est pour cela que Bakhita n’est pas une biographie – mais de rencontrer cette personne.

Véronique Olmi, Bakhita (Albin Michel) from PAGE des libraires on Vimeo.

P. — Est-ce la tension entre l’humanité universelle de Bakhita et son destin singulier qui a motivé l’écriture de ce roman ?
V. O. — C’est toujours difficile de savoir pourquoi un sujet vous choisit, pourquoi tout d’un coup on ne peut plus rien faire d’autre que ça. Ce qui m’a beaucoup interpellée, c’est le fait qu’elle ne s’est jamais souvenue de comment elle s’appelait. Bakhita, c’est son nom musulman, son nom d’esclave qui veut dire « la chanceuse ». Cette femme avait beaucoup de mal à se faire comprendre parce qu’elle avait perdu son dialecte à force de ne pas le parler. Elle ne savait pas écrire, il n’y avait pas de témoin de son enfance. Pourtant elle n’a jamais perdu son identité ni une force de vie, une volonté de vivre, une bonté. Ce mystère-là m’a soufflée : comment fait-on pour se garder soi-même quand on n’a plus rien ?

P. — Bakhita est dépossédée de tout, elle est le jeu des autres mais elle y résiste avec une force incroyable.
V. O. — Elle est un objet mais ce qui me paraît incroyable, ce sont toutes les marches qu’elle a faites à travers le Soudan toute petite. Il faut savoir qu’un quart des esclaves mourait en route. Comment a-t-elle fait, pieds nus, pour traverser tout le Soudan, en étant maltraitée, assoiffée, en voyant des choses terribles ? Quelle est la force d’âme qui fait qu’elle sent que sa vie a une valeur alors qu’on lui dit non seulement qu’elle n’est rien mais qu’on lui fait honte, qu’on l’humilie en permanence ? Comment une petite fille fait pour grandir avec un corps qui est un ennemi finalement, qu’on n’approche que pour humilier, offenser, torturer ? Comment fait-elle pour arriver à ne pas sombrer dans la folie, la méchanceté et l’indifférence ? Elle s’est toujours occupée des enfants. L’enfance, c’était son obsession. Les enfants étaient attirés par elle et la comprenaient même si elle ne parlait pas très bien. Elle découvre en Italie que l’esclavage c’est partout parce que les conditions paysanne et ouvrière sont alors misérables. Elle se rend compte que le monde et les hommes sont partout les mêmes : il y avait le jihad au Soudan et il y a la Première Guerre mondiale, le mussolinisme, la Seconde Guerre mondiale. Elle se rend compte que c’est le même chaos partout, mais ce qui lui importe partout où elle va, ce sont les enfants : ils la reconnaissent et elle les reconnaît, ceux qui ont faim, ceux qui ont honte. C’est une femme qui touche les autres, mais dans tous les sens du terme.

P. — Vous faites le choix d’une narration au présent. Est-ce pour donner du rythme à ce personnage, le rapprocher du lecteur ?
V. O. — Le présent m’a donné une impulsion : j’accompagnais Bakhita. À la fois j’avais cet œil extérieur qui suit cette petite fille et en même temps je pouvais être dans son temps à elle. C’était un être d’instinct : elle regardait l’ombre projetée des arbres, savait exactement le jour, les odeurs, le danger. J’avais besoin d’être dans le présent pour être dans son instinct à elle. Le rythme est venu comme ça.

P. — Bakhita est un roman ample et profond, avec un arrière-plan historique.
V. O. — C’est aussi un roman sur la négritude. Quand Bakhita arrive en Italie à la fin du XIXe siècle, elle est un objet de curiosité : on la goûte pour savoir en quoi elle est faite, les sœurs ne veulent pas laver ses draps parce qu’on pense qu’elle déteint, on pense qu’elle est le diable, on lui jette des pierres, on la craint même au sein de la communauté religieuse, on a peur de la croiser la nuit, on l’appelle « la mouche du christ » parce qu’elle est noire et bourdonnante comme une mouche. À cette période, apparaissent des chansons, des films, des publicités avec l’image de « la noire ». Puis avec Mussolini et les guerres coloniales en Libye et en éthiopie, c’est l’idée de « la pureté de la race » : il y avait « les noirs et les juifs qui allaient nous salir ». Bakhita a traversé tout ça. Elle est celle qui a préservé sa vie en sachant que toute vie est un cadeau. Cette femme-là, voilà, elle nous emporte.

 

Partez à la rencontre de l’auteure dans la librairie près de chez vous :
 

Vendredi 22 septembre, librairie Aux lettres de mon moulin à Nîmes
Dédicaces à 18h / soirée lecture-entretien à 19h

Mardi 26 septembre, librairie La Boîte à livres à Tours
Rencontre et dédicace à 19h30

Samedi 30 septembre, Librairie Lamartine à Neuilly-sur-Seine
Dédicace de 16h à 18h

Mercredi 4 octobre, librairie Millepages à Vincennes
Rencontre et dédicace à 19h30

Jeudi 5 octobre, librairie La Procure à Paris
Rencontre et dédicace à 18h30 dans le cadre des jeudis de La Procure

Samedi 7 octobre, salon La 25e heure du livre au Mans
Rencontre et dédicace avec la Librairie Thuard

Mercredi 11 octobre, Espace Ouest France avec la Librairie Le Failler à Rennes
Rencontre et dédicace à 18h00

Vendredi 13 octobre, librairie Mots en marge à La Garenne-Colombes
Dédicace à 19h

Samedi 14 octobre, Salon de la biographie à Chaville
Dédicace de 14h à 18h

Mardi 17 octobre, Alliance Française à Paris
Rencontre et dédicace à 19h

Samedi 25 novembre, librairie Antipodes à Enghien-les-Bains
Dédicace à 17h30

Mardi 28 novembre, librairie Coiffard à Nantes
Rencontre et dédicace (horaire à confirmer)

Vendredi 1er décembre, librairie La Galerne au Havre
Rencontre et dédicace à 18h00

Samedi 2 décembre, Librairie La Buissonnière à Yvetot
Rencontre et dédicace à 11h00

 

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