Atanasia est une jeune fille qui vit en Espagne sous Franco, dans les années 1970. Un jour, elle visite un musée avec sa classe et tombe en arrêt devant la toile d’un peintre méconnu, Roberto Diaz Uribe. Elle décide aussitôt de faire des recherches sur cet homme dont l’œuvre la fascine, et découvre qu’il fait partie de sa famille, mais que, pour des raisons non élucidées, il a choisi de disparaître. Elle commence alors son enquête, qui va la mener à travers le vaste monde, du Brésil à Paris. À travers sa quête, nous revivons l’histoire de sa famille avec des personnages hauts en couleur, avides de changer le monde. Roman initiatique, roman d’apprentissage, de découverte de soi-même et de la liberté. Et comme c’est Véronique Ovaldé qui raconte cette histoire, l’écriture est sublime, les thèmes sont abordés avec délicatesse et conviction. C’est un merveilleux livre, à lire et à relire, tant il y a de choses à y découvrir.
À la rencontre des auteurs - Véronique Ovaldé / Soyez imprudents les enfants
Avec Soyez imprudents les enfants, votre nouveau roman, on retrouve votre talent de conteuse, de raconteuse d’histoires, mais il me semble que celui-là comporte une dimension supplémentaire. Pouvez-vous nous en parler, et peut-on dire qu’il s’agit d’un roman engagé ?
Véronique Ovaldé — Dans ce livre, je voulais tout particulièrement parler du monde tel que je le comprends et tel que je le pense. Il y a un fond de réalité plus fort que d’habitude, effectivement, même si j’ai toujours autant de plaisir à raconter des histoires. L’action se situe dans un monde réel, dans des lieux réels. On est en Espagne après le franquisme. Il y a aussi des passages qui se situent au Brésil, pendant la colonisation au xixe siècle, à l’époque de la création des phalanstères. J’ai également introduit beaucoup d’éléments politiques réalistes.
Pour répondre plus précisément à votre question, le livre lui-même n’est pas « engagé », mais les personnages, eux, le sont, profondément. Ils sont engagés dans un projet collectif en général, dans une communauté, parce qu’ils veulent changer quelque chose de leur vie et du monde. Ce livre est donc aussi une réflexion sur la possibilité que se donnent certaines personnes de changer la société. Tous les hommes de la famille Bartholomé, à laquelle appartient Atanasia, l’héroïne du roman, ont voulu changer le monde. Vouloir changer le monde, c’est être démangé par l’appétit de courir la planète, pour la rendre différente, meilleure. Évidemment, ces entreprises ont plus ou moins de succès. C’est pourquoi les personnages engagés correspondent pour moi à un changement qu’ils insufflent et que je voulais introduire dans mon roman. Et puis, il y a tout ce qui est lié à l’imprudence.
Justement, l’imprudence. Je crois que vous attachez une très grande importance au titre que vous avez choisi : Soyez imprudents les enfants…
V. O. — Oui, l’imprudence me tient à cœur depuis très longtemps. Le fil rouge de ce livre est vraiment une injonction à l’imprudence. Cette phrase est tirée du livre de Jean Giono Le Hussard sur le toit (Folio). Lorsque sa mère écrit à son fils parti combattre, elle termine ainsi sa lettre : « Et surtout, mon fils, sois le plus imprudent possible, c’est le seul moyen d’avoir du plaisir à vivre dans ce monde de manufacture. » J’ai lu cela il y a plus de quinze ans, et cette injonction m’est restée comme quelque chose de fondamental. Réussir à dire à ses enfants d’être imprudents, c’est leur faire résolument confiance. Ce n’est pas facile, mais c’est indispensable. Le premier empêchement dans nos vies, c’est la peur. L’imprudence me paraît donc une nécessité. Sinon, on se fossilise. Il faut faire confiance à son imprudence, savoir rester imprudent à l’âge adulte. Ne pas avoir peur offre des possibilités de vie évidentes.
Peut-on lire ce livre comme un polar, notamment à travers la quête d’Atanasia pour retrouver ce fameux peintre disparu ?
V. O. — Oui, d’une certaine manière, même si le roman ne possède pas les codes d’un polar. Mais son action se déroule dans beaucoup de lieux différents du monde, y compris à Paris, comme dans un polar. C’est d’ailleurs la première fois que je mets Paris en scène dans un de mes romans. Il ne s’agit cependant pas d’un Paris vu de l’intérieur, « du Paris des Parisiens ». C’est le Paris vu par les yeux des touristes. Il s’agit en fait d’une enquête qui correspond à la conviction que j’ai qu’on a le devoir de disposer de nous-mêmes. C’est un roman de formation, peuplé de personnages qui font l’apprentissage du monde. Vous savez, écrire un livre prend des milliers d’heures, et l’écrivain lui-même doit être tenu en haleine par sa propre enquête. Ici, on a un personnage mystérieux qui a organisé sa disparition, et une jeune fille qui part à sa recherche.
On retrouve aussi le thème de l’émancipation des femmes, très présent dans votre œuvre, à travers la liberté que vous donnez à vos personnages.
V. O. — C’est effectivement fondamental pour moi que chacun possède sa propre liberté et en fasse quelque chose, en s’affranchissant, en se libérant des tyrannies et des contraintes que l’on s’impose à soi-même. Je reconnais que ce thème est traité dans tous mes romans. Ici, cependant, il se déploie dans une trame romanesque plus vaste.