Page — Vous avez l’habitude d’aborder des sujets forts avec beaucoup de sensibilité, comme ici l’anorexie mentale et la douleur du deuil. Où puisez-vous votre inspiration ?
Annelise Heurtier — Dans ce qui m’entoure, tout simplement. Depuis que j’écris, je sens que je suis beaucoup plus attentive à ce que j’entends, ce que je vois, car je sais que tout peut être à l’origine d’un roman. En l’occurrence, l’écriture du Complexe du papillon fait suite à une accumulation de plusieurs éléments. En premier lieu, il y a eu cette mode du thigh gap (l’espace entre les cuisses que les jeunes filles mesurent comme une preuve de maigreur), que j’ai d’abord découverte par le biais d’un article publié sur le site du Nouvel Observateur avant de l’entendre également sur France Inter, puis dans de nombreux autres médias. Quelques semaines plus tard, une amie proche m’a confié que sa fille – pourtant mince – trouvait que ses cuisses étaient trop grosses... Et comme je suis moi-même un peu passée par-là, je me suis dit que je pouvais essayer d’écrire sur le sujet.
Page — À travers l’histoire de Mathilde, mais aussi de ses camarades, vous brossez des portraits d’adolescents très réalistes qui se préoccupent beaucoup de leur apparence et suivent des modes parfois étranges. Vous êtes-vous glissée dans la peau d’une jeune fille de 14 ans avec facilité ?
A. H. — Peut-être que les romanciers en littérature jeunesse ont ceci de particulier qu’ils ont plus de facilité que d’autres adultes à se glisser dans la (jeune) peau de leurs lecteurs... J’essaie d’être réaliste pour rendre l’identification plus facile, même si je redoute toujours d’être dépassée ou à côté de la plaque. Je trouve qu’il n’y a rien de plus agaçant pour le lecteur adolescent qu’un auteur qui veut « faire jeune ». Ceci dit, pour revenir à la problématique du roman, le culte de l’apparence n’est pas l’apanage des jeunes : un certain nombre d’adultes se laissent influencer par ce qu’ils voient dans les magazines ou sur Internet.
Page — Népal, Mongolie, Italie… Nous avions beaucoup voyagé avec les héroïnes de vos romans précédents*. Mais pas cette fois. Mathilde, elle, ne s’évade du Périgord qu’à travers sa passion de la course. Y a-t-il une raison particulière à ce choix ?
A. H. — Non, je ne crois pas. Le sujet de l’anorexie était déjà suffisamment fort pour ne pas le diluer dans un décorum plus exotique. Je voulais que le lecteur se concentre sur la problématique de Mathilde.
Page — Avez-vous écrit Le Complexe du papillon avec un objectif précis, comme passer un message par exemple ?
A.-C. — Je n’ai pas la prétention de vouloir passer un message. Susciter la réflexion serait déjà très bien !