Pauline Colonna d’Istria – Comment est venu ce désir de passer de la radio au format papier au moment même où l’on diagnostique sinon la fin de la revue papier telle que nous la connaissons, du moins la nécessité – impérieuse – de s’ouvrir aux supports numériques ?
Jean-Michel Djian – C’est une idée simple qui s’est exprimée chez moi un samedi matin en écoutant de manière trop distraite Finkielkraut et son invité de la semaine Houellebecq. Je n’ai pas eu le temps de podcaster son émission ni, au fond, l’envie. C’est là que je me suis dit qu’il devrait être possible de « lire » France culture. J’en ai parlé à Olivier Poivre d’Arvor qui a tout de suite accroché et c’était parti. Je suis persuadé qu’il existe une culture de l’écrit qui n’est pas totalement employée. En particulier chez les auditeurs de France Culture. Elle est parfaitement compatible avec l’idée que l’on peut se faire d’un monde numérisé et technologisé à outrance. France Culture papiers est ce qu’on appelle une « niche ». Mais une niche qui va dans le sens de ce proverbe latin attribué à Horace : « Les paroles s’envolent, les écrits restent » (« verba volant, scripta manent »)
Pauline Colonna d’Istria – Qu’est-ce qui vous a déterminé à éditer France Culture papiers ? Avez-vous l’impression que ce nouveau format est complémentaire par rapport à l’offre actuelle des revues ?
Frédéric Boyer – La richesse du patrimoine de France Culture, depuis bientôt 50 ans. Le prolongement éditorial nous a paru s’imposer. Il suffisait d’y penser… France Culture papiers est bien plus qu’une revue. C’est un lien avec la radio. C’est un prolongement de l’écoute et un retour sur l’écoute. Enfin, c’est une sélection, un service que l’on rend aux auditeurs comme aux non auditeurs : avoir accès à un choix très large tant dans l’actualité de la radio et du moment que dans le temps (archives) de contenus culturels éditorialisés.
P. C.-d’I. – Olivier Poivre d’Arvor insiste sur le fait que c’est une revue culturelle qui n’est pas une revue intellectuelle classique (en dépit de la qualité des émissions ou le statut de nombre de ses invités). Quelle vous semble être la spécificité de cette nouvelle offre ? Et quel sera, selon vous, son lectorat ?
F. B. – Tout à fait d’accord avec Olivier Poivre d’Arvor. Il s’agit bien d’une grande revue culturelle généraliste qui traverse tous les domaines de la vie culturelle. Peu de revues ou de publications francophones proposent aujourd’hui un aussi large choix et spectre de l’activité culturelle contemporaine… Le lectorat sera bien évidemment en grande partie constitué des auditeurs fidèles et moins fidèles de la radio, mais également de lecteurs de revues culturelles. Je suis convaincu que France Culture papiers finira par avoir son propre lectorat, au-delà de la radio.
P. C.-d’I. – Dans la présentation de la section « Hier et Aujourd’hui » vous écrivez, Jean-Michel Djian : « l’oral rejoint l’écrit ou inversement ». Comment, précisément, avez-vous conçu le passage de l’un à l’autre et les apports respectifs de ces deux approches ?
J.-M. D. – On peut concilier les vertus de l’oralité avec celles de l’écrit. Il suffit d’être clair avec le lecteur. D’ailleurs le titre du journal France culture papiers contient en lui-même cette précision. Il n’y a donc pas d’ambiguïté. Le reste est une question éditoriale qui passe par le respect de la parole. À terme, et c’est tout l’intérêt de ce projet, il s’agira de revenir vers la radio une fois terminée la lecture d’un article. Grâce à un flash code en bas de page, on pourra avec son smartphone revenir à l’émission.
P. C.-d’I. – Telle que la revue est présentée dans ce premier numéro, on garde l’impression de la navigation sur les ondes, son caractère également aléatoire. Comment s’opère cette sélection des thèmes, le choix des entretiens sur plus de 2000 heures d’antenne ?
J.-M. D. – L’idée en effet est de rester dans la « couleur » de France culture. Mon souci, comme celui de Bayard notre éditeur, c’est de capter ce qui est le plus intemporel mais aussi ce que l’on n’a pas lu ou entendu ailleurs. La sélection est certes ardue mais, au fond, grâce à la coopération des producteurs, à la réaction des auditeurs, à une écoute aléatoire mais constante, le matériau éditorial est là.
P. C.-d’I. – Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont s’organise le travail ? Comment se construit un produit comme celui-là ?
J.-M. D. – Il existe un comité éditorial, comme dans un média classique. Mon rôle de rédacteur en chef est de proposer des sujets. Mais surtout des réunions de travail régulières entre Bayard et France Culture. C’est là que se dessine le numéro.
P. C.-d’I. – Comment définiriez-vous votre apport en tant qu’éditeur ?
F. B. – Le premier apport a été la proposition elle-même d’une revue trimestrielle, entre le livre et la revue. La proposition d’un bookzine, prioritairement destiné aux librairies. Puis le travail graphique, l’enrichissement éditorial et iconographique : il s’agissait de donner à voir et à lire ce qu’on avait entendu. Et enfin la commercialisation de ce nouvel objet éditorial.
P. C.-d’I. – Comment voyez-vous l’avenir de cette revue qui relève en même temps du pari ?
F. B. — C’est un pari parce qu’il s’agit bien de « la première radio à lire ». En ce sens elle se distingue des récentes parutions style XXI et autres. Elle propose une interactivité nouvelle entre deux médias, entre deux supports, et surtout prolonge et développe une offre culturelle unique en France tant à l’écrit qu’à la radio ou sur le web…