PAGE : Vous êtes-vous mis dans des dispositions d’esprit particulières pour écrire ce roman dont les héros sont des chiens ? Considérez-vous qu’il soit différent de vos autres romans ?
Tim Willocks : J’ai écrit Doglands dans une sorte de transe. J’ai suivi les pas de Furgul. Je ne pense pas en termes de thèmes quand j’écris mais, inconsciemment, il y a des sujets récurrents dans mes romans : la liberté, l’amitié, la méfiance des institutions, le poids du passé…
P. : Êtes-vous conscient de l’aspect sensuel et cinématographique de ce roman ?
T. W. : Les chiens perçoivent le monde de manière vivante et agissent en conséquence : cela donne au roman une force cinétique. Ce qui compte pour moi, c’est d’être au plus près des émotions de mes personnages. J’adore le symbolisme visuel et les forces élémentaires, plus riches que les « idées » en ce qu’ils génèrent davantage de significations que les lecteurs interprètent selon leur sensibilité.
P. : Pensez-vous que ce point de vue souligne l’absurdité des hommes persuadés de leur supériorité ?
T. W. : La vie moderne a émoussé notre pouvoir à ressentir les choses ; le point de vue du chien était une bonne manière pour convoquer ces joies : courir pour la beauté du geste et non pour gagner ou être en forme. Si nous, humains, étions moins obsédés par notre position, nous serions plus heureux.
P. : La violence joue un rôle important dans le roman, comme moyen de domination ou de liberté. Pensez-vous que chacun de nous abrite une part de sauvagerie ?
T. W. : À moins d’y avoir été entraînés par les humains, les chiens n’ont jamais recours à la violence sans raison. Ils sont chasseurs par nature, mais il ne s’agit pas de la même « violence ». Les humains utilisent la violence pour prendre le pouvoir. Dans le milieu naturel, les chiens n’ont que faire de contrôler quoi que ce soit. Certains chiens du roman ont été traumatisés par la violence des hommes et sont devenus comme eux.
P. : Diriez-vous que Doglands est un roman sur la notion de liberté : des chiens enfermés se sentent libres à l’intérieur d’eux-mêmes, d’autres sont dévoués, les humains semblent ressentir leur liberté comme un acquis…
T. W. : Certains chiens choisissent une vie facile plutôt que d’être eux-mêmes, mais le livre ne les condamne pas pour cela. Le problème survient quand on décide d’être soi et que le monde se dresse contre nous, humain ou animal. Furgul est dans la quête de « qui il est » plutôt que dans celle de qui il « devrait être ». C’est un problème auquel nous sommes tous confrontés. Nous perdons beaucoup de temps à courir après des chimères au risque de nous perdre.
P. : Furgul incarne un héros universel : étiez-vous conscient que la force de ce personnage conduirait le lecteur à s’identifier à sa cause et à rechercher son propre espace de liberté, son Doglands ?
T. W. : Ma première intention est de créer des personnages qui paraissent vraisemblables. Furgul est une grande âme. Quand j’écris sur les humains, j’ai besoin de générer une ambiguïté. La plupart des humains ont une part sombre, au contraire des chiens qui n’en ont que si les humains l’instillent en eux. C’était donc un plaisir d’écrire à propos d’un personnage qui était simplement bon. Même s’il subit la cruauté, il n’est pas perverti par la peine, même s’il tue, ce n’est pas par haine. Je pense que nous pouvons tous trouver notre propre Doglands : être vrai avec soi tout en respectant chaque forme de vie. La recherche du pouvoir est, au bout du compte, l’expression de la peur. Un être brave n’a pas besoin de pouvoir ; il a assez en étant lui-même et en aimant la vie. Furgul signifie « brave chien ».