Nous sommes dans un petit village près de Nevers, de nos jours. Votre narrateur, petit-fils d’Onésime et Simone, va nous ramener impasse du Champ-des-Cris. Il devient notre porte d’entrée dans la vie de ces hommes et de ces femmes.
Adrien Genoudet - Il traverse un moment de flottement dans sa vie. Il vient de vivre une déconvenue amoureuse et il se réfugie dans cette maison qui est inhabitée, où les fantômes vivent autour de lui, notamment celui d’Onésime. C’est en fait un moyen pour lui de retourner à la source de son enfance, à la source de ces secrets qu’il n’arrive pas encore à débroussailler.
Avec lui, on ouvre les portes des placards, on découvre des enregistrements, une voix, celle de son grand-père, posée sur des dizaines de bandes qu’il va écouter, comme un rendez-vous avec le passé. Mais qui sont Onésime et les siens ?
A. G. - Onésime est né au tout début du siècle dans les années 1920. C’est un gosse de ferme qui a vécu quelque chose d’extrêmement douloureux dans l’enfance et a été élevé par ses deux grands-parents, Naudet et Blanche. Naudet, lui, est un vieux soldat de 1914, un homme qui a traversé la fin du XIXe siècle et qui s’est retrouvé invalide après la Première Guerre mondiale. C’est lui qui élève Onésime, enfant, avec sa femme Blanche qui est la seule gardienne d’un secret extrêmement lourd : elle sait ce qui est arrivé aux parents d’Onésime. Onésime va être doublement percuté à l’adolescence : par ce secret puis, peu après, par la Seconde Guerre mondiale. Sa révolte intérieure va donc se faire par les armes, par le maquis. Il commence à comprendre qui il est mais se retrouve aussi confronté, bouleversé par ses douleurs de l’enfance. Tout cela va se nouer, se dénouer et finir par exploser au moment de la Libération.
Bien sûr, il y a aussi Nicole. Et c’est avec son arrivée que les voix vont se mêler.
A. G. - Nicole est une vieille dame de plus de 90 ans qui a été le premier amour d’Onésime et qui a fait la Résistance avec lui. Mais on sent, dès le début du texte, qu’elle a été elle aussi touchée par un drame fondamental. C’est d’ailleurs ce qui rassemble tous les personnages : ils sont dans l’impasse, en quelque sorte. Nicole est une femme forte, puissante qui casse quasiment les portes pour venir imposer ce qu’elle a à dire ! D’ailleurs, de la même manière que dans le livre elle fait irruption dans la maison, elle est venue à moi, en tant qu’auteur, avec la même détermination ! Je me suis demandé ce que cette femme avait à me dire ! Plus l’écriture avançait, plus elle a fait ce hold-up qui m’a donné énormément de plaisir. J’essayais, à chaque moment, alors que j’entrelaçais la narration et les prises de parole, de revenir la voir et de lui demander : « Maintenant qu’est-ce que tu as à dire et où allons-nous ? ».
Mais ce que nous croyons qu’ils ont vécu est finalement bien éloigné de ce qu’ils ont vraiment à nous dire. Et c’est pour nous l’occasion de toucher du doigt le secret qui les lie.
A. G. - Sur la Seconde Guerre mondiale, on sait énormément de choses, on a énormément d’archives, mais il manque aussi beaucoup d’interstices. J’ai une formation d’historien et ce que j’ai toujours trouvé fascinant, ce sont ces petits moments qui déjouent les lignes droites de la chronologie. Dans les entre-deux, il y a de très grands moments de tremblements politiques, humains, etc. Au moment de la Libération, en France, ces très jeunes gens, des adolescents, sortent des maquis et prennent le pouvoir en quelque sorte. Et il se passe quelque chose qui n’est pas aussi rassurant qu’on pourrait le croire. Et dans ce petit moment d’inquiétude-là, il y a des personnages qui émergent, mais il y a aussi des voix qui nous manquent, comme par exemple celle de Nicole. Ce qu'elle a vécu à ce moment-là, en tant que maquisarde, j’avais besoin de l’entendre.
À propos du livre
Une maison de famille, coincée au bout d’une impasse, celle d’Onésime et des siens. Tous ont vécu des drames. Ils ont choisi le silence pour protéger les autres mais au final, qui saura dire leur vérité ? Une plongée dans des vies ordinaires percutées par le monde, par la guerre aussi. Du maquis à la Libération, ce livre témoigne de ce qu’a été la vie de résistants, tels Onésime et Nicole. Un roman somptueux, une partition vibrante donnant à entendre la voix des habitants de cette rue. Dans cette impasse du Champ-des-Cris, trop de secrets ont lié les langues et les êtres depuis bien longtemps. Ils doivent être brisés et la vérité entendue. Dans quelques heures, ce sera chose faite.