Jeunesse

Claude Gutman

La vie est-elle une fuite sans fin ?

Entretien par Bénédicte Cabane

(Librairie des Danaïdes, Aix-les-Bains)

Claude Gutman, auteur et éditeur bien connu du paysage littéraire français, nous revient avec un texte fort et puissant : La Fuite sans fin de Joseph Meyer. Le roman s’ouvre en 1933 à Évreux, en Normandie : Joseph Meyer a 15 ans. Après moult péripéties, le roman s’achève en 1945, de nouveau à Évreux : la boucle est bouclée.

La Fuite sans fin de Joseph Meyer a été écrit plus de trente ans après votre trilogie La Maison vide/L’Hôtel du retour/Rue de Paris. Pourquoi un tel roman ? Aviez-vous de nouvelles choses à dire ?

Claude Gutman - Il faut croire que oui ! L’idée c’était de revenir, de creuser. À vrai dire, j’étais parti sur la justice des mineurs. Je suis tombé sur le bagne de Belle-Île-en-Mer et j’ai suivi la route. Il fallait que je fouille les récits qu’on m’avait transmis. En travaillant, j’ai découvert alors un monde que je ne connaissais absolument pas. La révolte du bagne de Belle-Île-en-Mer est quelque chose de relativement connu mais j'ignorais qu’il existait encore pire pour les enfants que les bagnes. J'ai ainsi découvert un endroit qui s’appelle Eysses, à côté de Villeneuve-sur-Lot. C’est une maison correctionnelle qui devient pendant la guerre l’endroit où vont être rassemblés l’ensemble des grands résistants français.

 

La vie de Joseph, c’est la peinture d’une enfance dure et sans amour. N’avez-vous pas craint d’avoir rajouté aux pages sombres de l’Histoire des pages sombres de l’intime ?

C. G. - Si j’étais Boris Cyrulnik, je dirais : c’est la résilience ! Je fais ce que je peux avec ce que j’ai. J’essaie donc de sauver ma peau. Joseph doit faire face sans arrêt à des situations auxquelles il ne s’attend pas. Il y a tout de même une belle histoire d’amour. Là je suis content. Mais il se fait mettre à la porte, ça ne marche pas. Ce livre, c’est l’histoire d’un engrenage. Le gosse fiche le camp parce que son père veut qu’il soit tailleur et lui veut être aviateur. Il se tire et commence une espèce de chevauchée qui va durer pendant six ans. La résilience, c’est l’instinct de vie, ce n’est guère plus que cela sinon il n’y a qu’à se flinguer.

 

Joseph, une fois adulte, continue à avoir un parcours atypique : déserteur, résistant ordinaire et presque malgré lui, fuyard d’un convoi de déportation… Il n’a rien d’un héros, vraiment ! Était-ce une volonté d’en faire une sorte d’antihéros ?

C. G. - Joseph ne déserte pas de l’armée, c’est la débâcle et l’exode. Il vit ça aussi. L’exode, c’est huit millions de personnes sur les routes en France pendant un mois et demi. Et puis c’est vrai que l’armée, tuer des gens, ça ne lui plait pas, il n’est pas là pour ça. Pendant la résistance, il a 20 ans. Il se retrouve à la tête du groupe parce qu’il a son certificat d’études, il fait partie des intellos. Ce sont des gamins, nos résistants. À Eysses, 70% d’entre eux ont moins de 24 ans. Dans son wagon de déportation, Joseph se dit : mourir pour mourir, je me tire. Donc il s’enfuit, il saute du wagon. Sa vie c’est : je sauve ma peau, je sauve ma peau, je sauve ma peau… Parfois ça le rend extrêmement méchant, injuste, mais en même temps, c’est un cœur en or.

 

Les figures salvatrices pour Joseph sont quasiment toutes masculines, il n’y a pas de femmes, sauf dans ses histoires d’amour. Pourquoi cette absence de figure maternelle ?

C. G. - Son histoire d’amour, c’est une belle histoire. Ce gamin, Joseph, suit son époque et son univers. La prison pour enfants, ce ne sont que des garçons. Il va ensuite en correctionnelle, ce ne sont que des hommes. Mais il y a cette femme, la bonne du menuisier chez qui il va vivre le temps de son apprentissage. Elle est extrêmement gentille, elle l’aide. Puis, il retourne en prison deux années, ce ne sont que des hommes. Le service militaire, c’est un monde d’hommes, il n’y a pas de femmes. Il va retrouver un deuxième amour à la Libération. Il tombe amoureux, ça ne va pas être brillant, mais il tombe amoureux !

 

À la fin du roman, quand on quitte Joseph, c’est la Libération. Il est rentré à Évreux et attend son père. Est-ce que vous envisagez une suite ?

C. G. - Je me suis posé la question. Mais si je continue, je ne sais plus jusqu’où je vais, je peux continuer jusqu’à aujourd’hui ! Non c’est fini. L’histoire est close et en même temps, elle est ouverte. C’est quelqu’un qui a été enfant, qui a été blessé comme enfant et qui, naturellement, va s’occuper d’enfants.

 

À propos du livre

Nous suivons la vie tumultueuse de Joseph Meyer qui ne cesse, semble-t-il, de fuir. Il fuit d’abord un père dur et maltraitant dans un foyer sans amour. Il fuit ou tente de fuir la justice des mineurs de l’époque, ses bagnes et maisons de correction. Il profite de l’exode en 1940 pour fuir l’armée. Rattrapé par l’Histoire et son statut de juif, il fuit les nazis, les rafles, les déportations pour, au sortir de la guerre, cesser de fuir et rentrer chez lui, à Évreux. Est-ce cela que veut nous dire Claude Gutman ? Grandir, devenir adulte, est-ce cesser de fuir et aller de l’avant pour affronter enfin de face les démons du passé ?

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