Il y a 50 ans était fondé Gallimard Jeunesse. Pourquoi ce choix d’éditer des livres jeunesse ?
Hedwige Pasquet — Après 1968, il y a eu un véritable mouvement dans lequel Françoise Dolto a joué un rôle très important pour la reconnaissance de l’enfant. Puis, à partir de 1972, un certain nombre d’associations se sont créées autour de la littérature de jeunesse. Des éditeurs de livres et des journaux pour les enfants se sont lancés. Il y a eu également la création des bibliothèques d’écoles, des CDI et l’instruction a été rendue obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans. Au cœur de cette effervescence, Massin, Directeur artistique de Gallimard à l’époque, a rencontré deux jeunes éditeurs : Pierre Marchand et Jean-Olivier Héron, qui avaient cette volonté de développer un programme jeunesse. Massin les a présentés à Claude Gallimard et son fils Christian qui ont pris la décision de lancer une entité jeunesse. La collection « Mille soleils » est née avec de très belles plumes d’auteurs contemporains : Marcel Aymé, Joseph Kessel, Roald Dahl et tant d’autres ‑en provenance du catalogue Gallimard ! Les couvertures étaient illustrées par les plus grands illustrateurs de publicité et les livres se destinaient aux enfants grâce aux illustrations pour avoir une présentation plus attrayante.
Comment avez-vous fait évoluer l’offre éditoriale ?
H. P. — Dans les années 1970, les éditeurs publiaient pour des enfants de 6 à 13 ans. L’adolescence est une notion qui a évolué à partir de ces années-là et l’élargissement du lectorat également. Au début, ce sont souvent des auteurs tout public qui s’adressaient à la jeunesse. Puis les parutions des Royaumes du Nord de Philip Pullman et de Harry Potter de J. K. Rowling ont influencé une nouvelle génération d’auteurs.
La maison d’édition Gallimard Jeunesse s’est beaucoup développée. Comment sont organisés vos différents services ?
H. P. — Nous sommes un éditeur généraliste structuré en départements : la Petite enfance, les Documentaires, la Littérature, le Poche, la Musique et l’audio avec Écoutez lire, Gallimard Bande dessinée et un label Giboulées. Des directeurs de collections et des éditeurs assurent un programme de plus de 400 titres par an. Nous sommes très vigilants en ce qui concerne l’excellence de nos ouvrages, exigeons des textes de grande qualité et des illustrations qui sauront séduire l’enfant et lui donner envie de s’emparer du livre. Dans cette logique, nous avons une maquette avec des graphistes en interne. Nous accordons aussi une grande importance à la communication, avec les services marketing et relations media, qui se diversifie avec notamment les réseaux sociaux. Il y a également la fabrication, sans oublier la seconde vie du livre, avec les traductions sous forme de coimpressions ou de cession de droits, et les nombreux partenariats en France.
Vous avez édité le phénomène Harry Potter. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de ce succès ?
H. P. — Les droits ont été achetés avant même que le livre ne soit paru en Angleterre ! Christine
Baker, notre éditrice à Londres, a entendu parler de ce titre par une bibliothécaire en Écosse. Un éditeur anglais, qui faisait partie de ses connaissances, venait d’acheter le manuscrit. Christine Baker l’a lu et s’est tout de suite prononcée en faveur de sa publication dans la collection « Folio junior ». Puis il y a eu l’impressionnant travail de Jean-François Ménard qui a traduit le manuscrit entouré de dictionnaires d’anglais médiéval, d’encyclopédies sur la mythologie et qui a très bien respecté l’univers de J. K. Rowling. C’est donc par des méandres et le bouche à oreille que Harry Potter est arrivé dans notre catalogue. Personne à l’époque n’aurait pu imaginer l’avenir de ce titre !
En 1998, avec la parution des Royaumes du Nord et la sortie du tome 4 de Harry Potter en 2000, vous avez révolutionné l’édition jeunesse en proposant pour la première fois un roman en grand format pour les enfants. Comment vous est venue cette idée ?
H. P. — « Folio junior » est une collection vouée aux grands auteurs et aux nouveautés d’auteurs contemporains, mais limitée en âge à 12/13 ans. L’arrivée de Philip Pullman, s’adressant aux adolescents, dans notre catalogue a fait naître l’idée d’un tirage en grand format. Ce devait être exceptionnel puis l’exceptionnel est devenu courant ! Nous nous sommes aperçus que nous comblions une envie chez les jeunes lecteurs : le confort de lire et la valorisation de leurs lectures.
2022, Gallimard Jeunesse est le premier éditeur de jeunesse et son catalogue est devenu une référence. Comment voyez-vous les cinquante prochaines années ?
H. P. — En étant toujours le plus proche possible de nos lecteurs. La littérature de jeunesse est une véritable « éponge » de la société. Nous témoignons de l’évolution des mœurs et avons à cœur de défendre la liberté de penser. Les cinquante prochaines années seront dans cet esprit avec toujours notre souci de la rigueur et de l’esthétique : rien n’est trop beau pour les enfants pour leur donner envie de lire. Comme le dit Pennac, « nous sommes tous des passeurs ».