Jeunesse

Malika Ferdjoukh

À chaque œuvre d’art son frisson

Entretien par Chloé Morabito

(Librairie Sauramps Odyssée, Montpellier)

Portrait au couteau est un thriller passionnant qui flirte avec l’art et le surnaturel. Son intrigue déroutante et haletante mène le lecteur aux portes de l’inexplicable par le biais d’un étrange tableau qui représente, avec un réalisme troublant, le portrait d’une jeune femme assassinée.

Après avoir publié l’excellente trilogie Broadway Limited (L’École des loisirs) qui nous transporte avec brio dans le New York de l’après-guerre, vous choisissez de revenir vers votre genre de prédilection : le thriller. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

Malika Ferdjoukh - On sait combien les lectures de jeunesse ont une magnitude et une texture singulières que ne posséderont jamais les lectures ultérieures, y compris les grandes collisions littéraires plus tardives. Les lectures de jeunesse gravent une empreinte spécifique qui n’appartient qu’à elles. À mon adolescence, je baignais dans Fitzgerald où les êtres souffrent avec élégance, le roman noir américain où l’on tue avec crudité et Giono qui est… Giono. Il me semble que l’on peut identifier, dans ces trois faces littéraires (pas forcément opposées), le « noir sophistiqué » que j’affectionne.

 

À la lecture de votre roman, je n’ai pu m’empêcher de penser aux nouvelles fantastiques de Guy de Maupassant, à Théophile Gautier (dont vous faites une allusion directe dans votre récit) ou encore au Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Pouvez-vous nous parler plus en détail de vos sources d’inspiration ?

M. F. - Parlons plutôt de compagnonnage. Elle est stimulante, l’idée d’être accompagnée par des vigies amicales. Bien entendu, nous sommes tous sous influence, que l’on écrive ou pas d’ailleurs. Pour ma part, j’ai un rituel lorsque j’amorce un roman. Je sors de ma bibliothèque un livre que j’aime et, tout au long de l’écriture, il reste là, sur mon bureau, à portée de main. Peut-être que je n’y mettrai même pas le nez. Il se peut que le contenu ou l’auteur n’aient rien à voir avec ce que j’écris (encore que les nœuds du lien, souvent, nous échappent). Mais je sais que je travaillerai sous des auspices aimables, généreux et propices. Pour Portrait au couteau, j’avais L’Autre Maison de Henry James, auteur qui chérissait les fantômes.

 

J’ai trouvé que la scène de l’assassinat est tournée comme une scène d’Hitchcock. Votre roman est-il empreint d’une influence cinématographique ? Si oui, pourquoi ce parti pris ?

M. F. - C’est réjouissant que vous disiez que ma scène est « tournée» alors qu’elle a été écrite ! Difficile d’échapper à Hitchcock lorsqu’on aborde la parabole du couteau. C’est une constante de l’œuvre, depuis son premier film parlant Blackmail au Rideau déchiré, du crime à l’O.N.U. de La Mort aux trousses à l’inévitable Psycho. Dans Portrait au couteau, le film Vertigo est explicitement convoqué dans la scène au musée d’Orsay où un personnage observe un autre personnage qui, lui-même, contemple un tableau. Dans une première version du récit, l’analogie ne m’était même pas apparue. Ce n’est donc pas un parti pris. Il a fallu le temps de la réécriture pour que l’évidence me saute aux yeux.

 

L’art et la peinture sont au cœur de votre livre. La figure du peintre, incarnée par plusieurs personnages, est multiple : il est à la fois créateur, tueur, enquêteur et médiateur. Marie et Flavie sont, quant à elles, des danseuses. Pourquoi avoir choisi de créer une intrigue et des personnages en lien avec le domaine artistique ?

M. F. - Sans doute parce que l’art est un terreau où cheminent perplexité, doute, ambiguïté, questionnement… Tzvetan Todorov disait que, pour le lecteur, le fantastique dure le temps de l’incertitude.

 

Votre roman se construit en trois temps, dans le sens où l’intrigue s’étend sur plusieurs générations. Cela crée une sorte de « choc des époques ». Pourquoi créer cette confrontation du présent et du passé ?

M. F. - La navigation dans le temps est l’essence même de ce récit qui n’existerait pas sans. Le temps n’y est plus la frise linéaire que l’on fixait au mur de la classe mais une boucle, une vrille, comme le chignon roulé de la petite danseuse. Cet enroulement permet d’aller et venir, de retourner et revenir. La métaphore, dans le récit, en est l’escalator du métro Télégraphe, symbole du progrès pour la Parisienne à froufrous de 1935, et qu’aimeraient emprunter mes héroïnes instagramées du XXIe siècle ! Hélas, il est en panne. Elles gravissent alors l’escalier en ellipse à pied. Retour en arrière.

 

 

À propos du livre
Afin de garder une part de mystère et de respecter l’atmosphère de ce roman insolite, il est souhaitable de ne pas révéler aux lecteurs les détails de l’histoire mais d’en donner seulement un avant-goût. L’intrigue se concentre autour d’un tableau datant de 1910 qui fascine autant qu’il terrifie celui qui le contemple. Intitulé Le Cœur déchiré, il dépeint le meurtre d’une jeune femme, tuée de cinq coups de couteau. D’une manière inexplicable, cinq cicatrices similaires se trouvent sur le corps de Flavie qui sert de modèle pour les étudiants en art. Antonin et Élisabeth, intrigués par ce détail, décident d’enquêter et de comprendre le lien qui unit la jeune femme au tableau. Un récit d’une qualité exceptionnelle, aussi mystérieux que troublant.

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