Quelle est l’origine de votre roman ? Quel a été le point de départ pour l’écriture de ce livre ?
Julia Kerninon - Le point de départ de mon roman Liv Maria, c’était l’idée qu’au fond, on est toujours seul à savoir toute la vérité sur notre propre vie et à avoir conscience de la multitude des personnes qu’on a été et des expériences qu’on a connues et qui se tiennent toutes rassemblées en nous au moment où quelqu’un nous regarde en pensant savoir qui on est.
Pouvez-vous nous présenter Liv Maria, extraordinaire personnage au centre de votre roman ?
J. K. - L’héroïne de ce livre, Liv Maria, naît en 1970 sur une petite île au large des côtes bretonnes. Elle a une enfance et une adolescence assez sauvages, elle est enfant unique, élevée en partie par ses quatre oncles°: c’est une sorte de Fifi Brindacier maritime ! Et à 17 ans, elle va échapper à une agression, ce qui va décider sa mère à l’envoyer sur le continent, à Berlin, avant la chute du mur. Là, elle va avoir une liaison avec son professeur d’anglais qui scelle son entrée dans le monde des adultes, dans le monde de l’amour. Son entrée aussi dans le monde des mots, parce que, comme ce professeur est d’une autre nationalité et qu’elle est franco-norvégienne, ils vont commencer à tisser entre eux toute une langue. C’est une histoire d’amour qui va beaucoup reposer sur la linguistique ! Puis, un peu sur un coup de tête, elle va partir au Chili. Après dix ans d’une vie intense mais émotionnellement vide, elle se rend compte qu’elle a fait fausse route. Là, miraculeusement, elle rencontre un jeune homme. Ils tombent éperdument amoureux et, ensemble, ils décident de rentrer en Europe. C’est comme ça que Liv Maria arrive en Irlande. Là, elle va entamer une nouvelle phase de sa vie, devenir une épouse heureuse et la mère de deux petits garçons. C’est un moment où elle s’efforce de rentrer dans le rang sans être sûre d'y arriver. Sauf que, quelque chose de son passé, une des Liv Maria qu’elle a été avant, rend cette modification quasiment impossible.
On sent un amour des langues, de l’ailleurs, tout le plaisir que vous avez de jouer avec les mots, les rythmes. Parlons un peu de la langue du livre, de votre style.
J. K. - Je crois que ça trahit le fait que je considère l’amour, les expériences qu’on fait, les découvertes, les apprentissages comme des déplacements. Je pense que considérer la vie comme un voyage n’est pas la métaphore la moins pertinente qu’on puisse trouver. Il y a toute cette histoire d’amour bâtie sur les mots. J’avais envie de parler de ça en écrivant ce livre, de l’importance des mots. En tant qu’écrivain, je suis forcément gourmande de tous les mots, j’aimerais pouvoir tout mélanger pour que ce soit le plus riche possible, j’aime bien cette idée de tour de Babel.
Vous citez Faulkner au début de votre roman à propos des femmes et campez toujours des personnages féminins incroyables. Que porte en elle Liv Maria de ce que vous voulez dire sur les femmes ?
J. K. - Cette citation de Faulkner au début de mon roman dit, en gros, que les femmes sont merveilleuses parce qu’elles savent qu’il faut surmonter les problèmes et qu’elles savent faire cela parce qu’elles n’anoblissent pas la douleur physique. C’est une citation, que pendant longtemps, j’ai adorée en la prenant au premier degré. Je pensais que c’était vraiment un compliment qu’on nous faisait en tant que femmes. J’ai mis très longtemps à comprendre que Faulkner ne célébrait pas la grandeur des femmes mais leur résilience. Du coup, cette citation prend un tout autre sens. Je l’ai mise au début du livre pour qu'elle pose question. Ce livre est indiscutablement un livre sur les femmes, qui questionne les femmes. Nous avons tous des vies secrètes, des vies très riches et, évidemment, les vies de femmes sont faites de toutes ces couches sédimentaires, de tout ce qu’elles ont aimé, de tout ce qu’elles ont vu. On ne saurait les réduire à la charge qu’elles occupent au moment où on les rencontre. C’est ça mon roman, c’est Liv Maria.
Liv Maria est née là, sur cette petite île au large de la Bretagne, fille de la tenancière de son café-restaurant-épicerie et d’un marin norvégien qui avait succombé à son charme alors qu’il visitait l’île à la faveur d’une escale. Une rencontre improbable, un amour incroyable ! Elle a poussé là, sous l’œil vigilant des siens, avec les mots de son père, son amour pour la littérature. Mais la vie en a décidé autrement et à la veille de l’été 1987, alors que Berlin est toujours coupé en deux, Liv Maria va rejoindre l’Allemagne. C’est là, au détour d’un cours d’anglais, qu’elle rencontre l’homme qui lui enseignera les mots de l’amour. Commence alors une quête de liberté, une soif d’amour, de travail, d’oubli. Est-il possible de composer avec ce que l’on est vraiment pour rentrer dans le moule que la vie essaie de nous imposer ? Pour elle, non. Liv Maria a eu cent vies, elle est un peu de chacune d’entre elles, mais avant tout elle est libre, insaisissable.