Littérature étrangère

Casanova l’euphorisant

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✒ Olivier Renault

(Librairie La Petite lumière Paris)

Si la vie de Casanova est un roman en soi, celle du manuscrit d’Histoire de ma vie l’est aussi. Son achat par la Bibliothèque nationale de France et un mécène demeuré secret, il y a un peu plus de deux ans, permet enfin d’avoir accès au véritable texte. Coup sur coup, deux éditions paraissent, nous le livrant enfin, tel quel.

Fin de l’été 1789 ; un monde s’écroule à Paris. Casanova vieillissant écrit treize heures par jour son Histoire de ma vie. Ce faisant, il revit. Les sensations ressurgissent, il en jouit à nouveau. Casanova opère sa révolution, montrant en actes un sujet souverain sachant jouir loyalement de son être. Sans autre système que le vent qui le pousse, il plaît, séduit, est séduit. En curieux, il goûte à tout, secoue les préjugés pour étancher sa soif de connaissance et d’expérience à la première personne. Né pauvre, fils de comédiens, il traverse les couches sociales, est reçu par des patriciens, des ministres, des écrivains. Il alterne les phases de pauvreté et celles d’opulence (il invente notre loterie nationale…) sans que tout cela n’ait — scandale pour notre époque — de véritable importance. Ce qui compte ? « Cultiver les plaisirs de mes sens fut dans toute ma vie ma principale affaire », tout en inventant sa liberté. Ce qui fait de sa lecture le meilleur euphorisant possible, un antidépresseur naturel. Le monde est une vaste scène mouvante : changements successifs de décors, de personnages, de rôles. En masque ou à visage découvert, le jeu, la comédie, la mise en scène priment, quitte à tromper les sots, car « On le venge [l’esprit] quand on trompe un sot, et la victoire en vaut la peine. » En amour, il s’agit d’autre chose : « Pour ce qui regarde les femmes, ce sont des tromperies réciproques qu’on ne met pas en ligne de compte, car quand l’amour s’en mêle, on est ordinairement dupe de part et d’autre. » Auteur, il est à lui-même son propre personnage. Né du théâtre, il l’incarne au point d’en faire la métaphore même de la vie : « La mort est un monstre qui jette du grand théâtre un spectateur attentif avant qu’une pièce qui l’intéresse infiniment finisse. Cette seule raison doit suffire pour la détester. » Deux éditions paraissent, donnant enfin à lire le vrai texte de Casanova. Laquelle choisir ? Celle, voluptueuse, de la « Pléiade », ou l’autre, plus économique, de « Bouquins » ? Dans les deux cas, un superbe travail éditorial et un précieux appareil critique. Les annexes diffèrent. Avantage à « Bouquins » pour les tableaux de conversion d’heures et de monnaie (très précieux !), des fragments préparatoires, une autre version de la possession de Bettine, le lexique des règles de jeu et l’index des noms (en Pléiade, il sera en fin de troisième volume). Alors que la Pléiade donne en appendice la longue variante de son arrivée à Paris en 1750, facilitant la lecture linéaire, Bouquins fait le pari de les donner à lire côte à côte. Casanova, un évangéliste synoptique ? Cela l’aurait fait sourire. Les cartes sont plus nombreuses en Bouquins, mais plus lisibles en Pléiade. Celle de l’Italie non unifiée de l’époque est bien utile, de même que celle des lieux fréquentés par Casanova à Venise. En outre, la Pléiade adjoint les rapports de l’indicateur Manuzzi. Bref, lequel choisir ? À vous de voir, mais moi, je fais comme notre libertin avec M. M. et C. C., et je prends les deux.