Dans le texte qui ouvre Trois ans sur un banc, l’auteur explique qu’il était assis sur son banc préféré, au parc, lorsqu’un inconnu s’est mis à se confier à lui : « C’était une histoire vraie mais en quelque sorte tapie dans les angles morts de la réalité. » Cette phrase veut dire beaucoup. Car le projet naît alors de recueillir, pendant trois ans, en s’asseyant à la même place, les histoires vraies mais parfois incroyables d’inconnus. Constituer en sorte « une espèce d’anthologie de l’improbable ». Mais qui connaît un peu l’auteur, sa malice et son farouche amour pour l’humanité en général, doute un peu de la véracité des anecdotes qu’il commence à lire. Mais après tout, peu importe ! Ce qui compte, c’est qu’on se laisse délicieusement porter par ces histoires toutes très courtes, une page ou deux, beaucoup d’histoires d’amour, d’amitié, de famille, de destins. On voyage sur plusieurs continents, les gens sont âgés ou jeunes, les histoires tragiques ou drôles. Quel talent inouï, quelle prouesse d’imagination pour arriver à faire naître ce recueil qui aurait pu prendre le titre d’un autre livre de l’auteur, Archives de la joie. Parce qu’il est beaucoup question de joie. Beauchemin peut alors se rapprocher d’un autre écrivain de la joie et du fragment, Christian Bobin. Les deux hommes ont en commun de ne rien éviter des noirceurs de la vie mais bien d’en chanter les louanges. Le noir dans le blanc, en quelque sorte – c’est sans doute ce qui caractérise l’auteur du Roitelet. Pour moi, Beauchemin est incontestablement un très grand écrivain. Qui aime, malgré tout, la vie et qui s’attache à nous la peindre de la manière la plus juste, douce, poétique possible. Les éditions Québec Amérique ont souhaité, en même temps que la parution de Trois Ans sur un banc, rééditer Le Jour des corneilles. « Cette œuvre écrite en quinze jours, qui a passionné un vaste public tant au Québec qu’en France et dont on a tiré un film ma foi fort émouvant, connaît en effet un succès qui dure et que je n’avais pas prévu. » Œuvre peut-être à part dans le trajet de l’écrivain, le livre présente un homme accusé de meurtre qui raconte à la cour les événements qui l'ont peu à peu conduit à commettre l'impensable. Ni récit d’un procès, ni roman policier, c’est un témoignage sur les frontières entre folie et lucidité, amour et haine, vie et mort. Roman de l’incommunicabilité, il avait fait découvrir Beauchemin aux lecteurs, dans une sorte de fable à la fois tendre et cruelle.