Jeunesse

Sophie Carquain

Recluse dans ma chambre

Entretien par Léonie Desbois

(Librairie Le Bel Aujourd'hui, Tréguier)

Depuis maintenant huit mois, Sacha reste enfermée dans sa chambre. Elle n'en sort plus, n'y arrive pas. Elle est devenue une hikikomori. Autrement dit, elle souffre « d'un retrait social » se traduisant par l'impossibilité de sortir. Mais est-ce là une vie quand on a seulement 16 ans ? Comment en est-elle arrivée là ?

Je suis ravie de pouvoir parler de votre nouveau roman, Hikikomorie. D’ailleurs, pourquoi ce titre ?

Sophie Carquain  Le titre est au féminin puisqu'il s'agit d'une fille. Ce phénomène très fréquent au Japon concerne souvent des jeunes hommes qui s'enferment dans leur chambre sans réussir à en sortir. Ils aimeraient mais ne peuvent pas. Ils se dérobent aux attentes de la société puisqu'on sait qu’au Japon, on attend beaucoup des jeunes. C’est ce qui arrive à Sacha qui est une adolescente de 16 ans. Le phénomène touche plutôt les garçons mais n'exclut pas les filles. J'avais envie de parler d'une fille parce que ce phénomène est en augmentation chez les adolescentes en France.

 

Comment vous est venue l'idée de ce roman ?

S. C.  J’ai écrit trois ou quatre articles sur le sujet en tant que journaliste. Ce phénomène m'a toujours intéressée. Comment fait-on pour vivre seul, sans le regard des autres, sans communiquer avec eux ? En janvier 2023, j'ai fait une immersion d'un mois dans la Maison de Solenn, auprès d'adolescents hospitalisés. J’ai alors pris conscience qu'il y avait de plus en plus d’adolescents déscolarisés aux côtés d’anorexiques. Je me suis aussi rendu compte que les ados étaient tenaillés par deux grandes angoisses : l'éco-anxiété évidemment (donc la peur de l'extérieur) et la peur de l'échec. Sacha a un père qui est très exigeant. Elle est très intelligente, c'est une excellente élève. Ces jeunes-là, à qui on demande beaucoup, lâchent parfois d'un seul coup. Je me rappelle avoir interviewé une psychanalyste qui m'avait dit « on en veut beaucoup aux enfants » et avec ce double sens de « en vouloir ». On veut beaucoup d'eux et on en veut beaucoup, comme si on leur en voulait. C'est certes une réflexion de psychanalyste mais il n'empêche que c'est ce qui m'a aussi frappé chez Sacha.

 

Vous faites de l’amitié un des sujets phares du roman et une solution à ces souffrances.

S. C.  Oui mais je ne voulais pas non plus qu'elle s’en sorte par un simple coup de baguette magique. On ressent que son petit astéroïde change de cap (souvent, je parle du fait qu'elle vit sur un astéroïde comme le Petit Prince) grâce au personnage de Bahia qui sera très important pour elle : Bahia va lui apporter beaucoup de force et de lumière pour l’aider à traverser la tempête.

 

Dans sa chambre, se révèlent toutes les personnalités à l’intérieur d’elle-même qui conversent entre elles, au point de devenir des personnages à part entière.

S. C.  Dès le départ, Sasha se parle à elle-même comme on pourrait le faire sur une île déserte. Ce qui apporte un certain humour, je pense. Par moments, elle s'engueule elle-même : Sacha 1 contre Sacha 2 ! Cela permet aussi de maintenir un rythme, comme deux voix de théâtre qui se répondent. Le fait d'avoir écrit et publié des poèmes juste avant m’a permis d’écrire de façon beaucoup plus rythmée et a influencé l’écriture de ce roman.

 

On sent des rythmes différents en fonction des sujets abordés : l'éco-anxiété, la toxicité parentale, le harcèlement, mais ce roman reste très accessible et lumineux. Permettez-vous de comprendre comment tout bascule ?

S. C.  Oui, je pense que ça ne sert à rien d'être dans le déni. Il faut parler aux jeunes de tout ce qui les concerne. Là, c'est cette face émergée, la face visible de l'iceberg : finalement, le hikikomori reclus dans sa chambre, c'est la partie spectaculaire de ce qu'on peut tous ressentir, le besoin de se replier sur soi. N'accusons ni Internet ni les réseaux ni les jeux vidéo : ils ne sont pas la cause mais le refuge. Avant on parlait d'addiction mais maintenant, on sait que ces jeunes cachent le mal-être qui les ronge tout en conservant, grâce à Internet le monde à portée de main, sans avoir besoin de sortir. Je crains malheureusement que ce sujet ne concerne beaucoup de jeunes.

 

 

Sacha souffre. À force de la pression parentale, du lycée, de Daria, du « drame », elle craque. Comment et surtout pourquoi vouloir avancer dans ce monde ? J'ai particulièrement aimé ce roman parce qu'il parle d'un phénomène de société grandissant qui touche de plus en plus de jeunes. La construction du roman et l'écriture m'ont happée : le suspense couplé aux différents rythmes employés m'ont fait lire ce titre presque d'une traite. Je le conseille parce qu'il donne de l'espoir dans les moments sombres et offre des solutions aux personnes qui ont parfois besoin d'aide et de lumière pour affronter notre époque. Un texte essentiel qui nous surprend du début à la fin.

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