Littérature française

Marie-Hélène Lafon

L'entretien par Joachim Floren

Librairie Le Matoulu (Melle)

Marie-Hélène Lafon nous entraîne dans un tourbillon d’émotions à travers l’histoire d’une famille sur un siècle, entre le Cantal, le Lot et Paris. Nous sommes envoûtés par ses personnages et sa langue, tout simplement magnifique.

Quelle a été la genèse de ce roman ?

Marie-Hélène Lafon - Au commencement d’Histoire du fils, à sa source, comme à la source de tous mes livres d’ailleurs, il y eut d’abord une piste. Une piste à frayer, à inventer, à suivre. C’est une histoire de famille, pas l’histoire de ma famille, mais une saga, une série à épisodes dont je fus le témoin à distance, tout en étant en proximité affective comme j'entretiens des affinités anciennes avec cette nébuleuse familiale. Cette position de témoin étant très propice à l’écriture.

 

Comment travaillez-vous cette écriture, cette langue poétique si particulière ?

M.-H. L. - Tout d’abord une histoire, puis un long processus de rumination. Je cherche toujours à tâtons et j’attends. Ensuite, c’est l’élagage, parce que le réel est profus et dans cette affaire-là, j’avais trop de tout. Trop de péripéties rocambolesques : le réel surgissait, le réel m’empoignait et sa profusion était proprement étourdissante. Ensuite, le livre. Printemps 1908, printemps 2008. Douze tableaux, autant d’arrêts sur image pour un siècle. J’ai tenté de donner au réel profus, à son flux incessant et à son chaos, une forme, une architecture à la fois fluide et dense, souple et intense, incarnée par une poignée d’hommes et de femmes. Tout une nébuleuse, essentiellement familiale, qui a le don de la joie et de la douceur, en dépit des vertiges et des abîmes. Voilà donc le chantier d’état des lieux. J’ai cherché cette forme, cette architecture narrative et j’ai tenté de donner à cette matière le sens le plus intense possible, comme André le fait dans sa vie. Le livre raconte comment André, mal parti dans la vie parce que sans père, invente et construit, donne forme. André pousse comme un arbre envers et contre tout, voire même envers et contre tous. Il pousse en ardent équilibriste entre le Lot de l’enfance, Paris, les silences de sa mère et le Cantal qui serait une fois de plus l’épicentre secret du séisme.

 

Comment établissez-vous le lien entre la construction des personnages et la chronologie éclatée du récit ?

M.-H. L. - Il est question de construction de soi, d’architecture du vivant et cet élan narratif, cet élan vital, se joue de la chronologie. Dans les livres et dans la vie, on fait ce que l’on veut, pas toujours dans l’ordre mais plutôt selon une nécessité organique qui s’impose et nous en impose.

 

Les silences et les non-dits rythment ce texte. Sont-ils révélateurs du déséquilibre familial sur plusieurs générations ?

M.-H. L. - André et les siens font face à ce qui s’impose et voudrait leur en imposer. Ils font face aux silences, aux secrets, aux absences et aux manques. André naît sans père en 1940 à Figeac. En 1940, à Figeac et ailleurs, il fallait faire des choix. Il les fera et le maquis sera son université. André est un héros ordinaire, vivace et vaillant. Il invente sa vie, il embrasse le monde à pleins bras, de tout son corps, de toute sa peau.

 

La perception des sens, les sentiments sont exacerbés tout au long du récit et de votre œuvre. Quelle importance revêtent-ils à vos yeux ?

M.-H. L. - Ce texte, sa langue, sa phrase, son rythme sont nourris des personnages et adossés au sens. La langue est une fête, la langue est un festin, nous y sommes tous conviés. Comme nous aurions pu être conviés au mariage d’André, le samedi 19 août 1950. André a toujours eu deux mots pour ses mères : « maman » pour Hélène, sa tante qui l’a élevé à Figeac, et « ma mère » pour Gabrielle qui habite Paris. Il ne l’a côtoyée que quatre semaines par an pendant les dix-sept premières années de sa vie et moins encore depuis qu’il ne vit plus dans sa maison d’enfance. Sa femme, Juliette, André l'avait déjà présentée à Hélène, dès le printemps 1949, moins d’un an après leur première rencontre, dès qu'il avait été sûr qu'elle serait la femme de sa vie – même s’il en était sûr dès le début, avant même de lui avoir parlé. Il aimait penser à comment il avait su pour Juliette, tout de suite et pour toujours. Au maquis, il avait connu une autre femme, plus âgée que lui, une réfugiée du Nord qui était peut-être juive, avait été mariée dans une autre vie et se faisait appeler Sylvia. On avait envie de lui poser des questions mais on n’osait pas. Elle lui avait dit qu’il ressemblait beaucoup à son frère disparu en octobre 1940. Il avait pensé sans le dire que c’était un critère discutable pour choisir un amant dans une troupe de mâles tous plus ou moins affamés et affûtés par le sentiment de vivre à la proue d’eux-mêmes. Sylvia disait ça : vivre à la proue, être affûté. Elle parlait souvent avec des images qui ne se comprenaient pas tout à fait du premier coup mais qui se plantaient dans l’os et y restaient. Elles remontaient au moment où André s’y attendait le moins et il ne luttait pas. Il s’inclinait, il laissait faire, il était fidèle.

 

Histoire du fils, c’est une histoire familiale qui s’étend du printemps 1908 au printemps 2008 et pose la question de l’amour, qu’il soit filial, familial ou simplement au sein d’un couple. Nous naviguons entre les époques et les lieux avec une grande fluidité. André est né en 1924 à Paris. Il ne connaît pas son père. Il est alors élevé par sa tante Hélène, au milieu de ses cousines à Figeac, pour que sa mère biologique, Gabrielle, puisse continuer à vivre en toute liberté la vie qu’elle a choisie. Il grandit heureux, choyé par sa famille, ne voyant sa mère que deux fois l’an, mais toujours avec cette question du père inconnu. André est un personnage lumineux, engagé dans la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, débordant d’amour. La galerie de personnages dans ce roman est sublime, et mêle l’intime avec l’Histoire. Un récit tout en délicatesse, en émotion, porté par une écriture propre à cette grande auteure !