Beaux livres

Olivier Rolin

Un voyage en Russie

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Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

La vibration impérieuse du lointain. Venir, humble, à sa rencontre, en apprivoiser la lenteur ou bien faire lever la poussière à grand fracas, ainsi le paysage ne cesse de fuir devant soi. Deux démarches pour partir vers l’inconnu du monde. Nous en recevons la lumière captive.

Appelé par les mots de Zweig, « l’infinité que représente la Russie », Olivier Rolin l’a arpentée à de nombreuses reprises pendant des années. Désirant « apparier (ses) mots à l’art du photographe », il a accompagné l’acteur et réalisateur Vincent Perez qui revient aujourd’hui à son premier métier, la photographie. Ils ont choisi de découvrir quatre lieux singuliers : Arkhangelsk, la septentrionale, porte maritime et marchande sur l’Europe au xviiie siècle, Oulan-Oude en Bouriatie, où rôde encore l’ombre de Genghis Khan, Saint-Pétersbourg, « à la fois ville aristocratique et ville de la Révolution », et enfin Astrakhan la Tatare, là où la Russie européenne frôle l’Orient. À travers les images et les mots, apparaît un pays où l’immensité se confond avec l’étirement du temps. Dans les conversations, les rencontres, affleure la nostalgie d’un « avant » soviétique, c’est le mot qui revient le plus d’un bout du pays à l’autre. La force incroyable des portraits de Vincent Perez nous saisit : les « vétéranes » du travail, arborant leurs médailles, trois farouches cosaques gardiens des traditions, une mime de cirque très fellinienne, une couturière prenant la lumière à la manière d’un Vermeer, des imams, le khambo-lama, le père Serguéi, le pope charismatique d’un village de Vieux-Croyants, et même un chaman arrivé à l’improviste pour purifier la maison. Portraits posés dignes et sobres, se détachant sur un arrière-plan de lignes croisées, horizontales et verticales, papiers peints fleuris et toiles cirées très fleuries. En contrepoint, paysages désolés où l’eau, la boue, la neige, le ciel se répondent, où la route nous happe toujours plus loin : « C’est un sillage sur la mer, parce que la terre est, comme la mer, toujours recommencée ». Sylvain Tesson le sait mieux que personne, qui a couru les chemins de glace et de terre rouge sur de vieilles machines au freinage aléatoire : « Nous trouvions à peu de frais, assis sur la selle d’une bécane, un écho lointain de ces ruées sauvages où l’on cravachait sa monture ». Il s’agit avant tout de « calmer le brasier intérieur ». C’est le mouvement perpétuel qui marque les photographies de Thomas Goisque : la horde sauvage à travers le désert, les steppes de Mongolie, sur la glace du lac Baïkal, splendides transparences, gelée sur les traces de la retraite de Russie, embourbée dans un marécage asiatique, faisant irruption sur un marché au grand bonheur des enfants ou bien en panne au milieu de nulle part, boulons répandus sur la piste. Et même, incroyable, hommes et motos à dos d’éléphant. Le soir, halte réparatrice, vodka, cigare et poésie. On lit le motard tutélaire Georges Perros ou L’Éloge du carburateur de Matthew B. Crawford (La Découverte). Tesson tient à l’esthétique des années 1950, tweed, cuir et verres à pied au bivouac et garde sa lucidité caustique : « Est-ce notre faute si nous avons voulu jouer à Tintin à 40 ans passés plutôt que de nous présenter à la députation des Yvelines ? ». Imparable.

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