Littérature française

Philippe Hayat

Où bat le cœur du monde

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Chronique de Anne-Sophie Rouveloux

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Malgré des époques mouvementées, une mère dévorante et de cruels coups du sort, Darius Zaken s’accrochera toute sa vie à sa passion, le jazz. Son histoire, par son caractère universel, ses nombreux rebondissements et l’émotion qu’elle suscite, possède toutes les qualités d’un grand roman populaire.

Rien ne prédestinait le jeune Darius Zaken à devenir le grand Darry Kid Zak, jazzman de renommée mondiale. Du Tunis des années 1930, agité par la colère des peuples, aux États ségrégationnistes des États-Unis, en passant par le New York des années 1950, jusqu'à la consécration dans une salle de concert parisienne, c'est le récit d'une vie que le lecteur découvre. La vie d'un battant. Ni le terrible drame le privant de sa voix, ni l'amour débordant d'une mère ne l'empêcheront de faire vibrer les foules au son de sa clarinette. Ami de Charlie Parker, Dizzy Gillespie ou Billie Holiday, ce héros muet nous livre sa voix intérieure et nous fait traverser des mondes, des époques, avec le lot d'aventures et d'émotions que peut générer un tel périple. Tout à la fois récit d'apprentissage et grande fresque romanesque, Où bat le cœur du monde est avant tout le portrait émouvant d'un homme fictif, mais inspirant.

 

PAGE — Qu’est-ce qui a guidé votre plume pour écrire cette grande fresque ?
Philippe Hayat — J’ai voulu parler d’un jeune homme qui démarre mal dans la vie. Enfant dans les années 1930, vivant dans la médina de Tunis, son père va être lynché sous ses yeux lors d’une émeute. Le choc lui fait perdre la voix. Malgré tout, sa mère va se battre pour l’éduquer dans le quartier français de Tunis et le promettre aux meilleures études, comme ce fut souvent le cas dans les familles nord-africaines de cette époque. Malgré ce soutien, Darius doit lutter. Son handicap rend sa vie compliquée et il essaie de plaire à sa mère, sans y parvenir. Un beau jour, il découvre la musique. Il va en tomber amoureux en assistant par hasard à un concert de jazz. Le véritable point de départ de mon roman est cette musique capable de décrire la douleur du monde. C’est la musique des esclaves. Même si elle née dans la souffrance, ces derniers arrivent à la rendre joyeuse. Darius, en l’entendant, se rend compte qu’il y a possibilité de transcender la douleur dans laquelle il baigne depuis la naissance. Il considère dès lors que la vie vaut la peine d’être vécue. En devenant clarinettiste, il peut rendre la vie plus belle, malgré son lot de souffrances. Mais le problème, c’est qu’il va devoir arrêter ses études et ainsi désobéir à sa mère. La relation entre Darius et Stella, sa mère, m’a beaucoup intéressé, ainsi que les moyens engagés par un jeune homme pour faire vivre son talent.

P. — On sait que votre précédent roman, Momo des Halles (Allary et Pocket), est inspiré de faits réels. Darius est un personnage inventé, mais puisque l’on croise Charlie Parker ou encore Billie Holiday, je me demandais si vous ne vous étiez pas inspiré d’une autre star du jazz pour le dépeindre.
P. H. — Pour l’anecdote, quand mon éditrice a lu le manuscrit, elle m’a appelé pour me dire qu’elle avait googlisé Darius sans l’avoir trouvé ! Darius vit en moi mais il reste un personnage de fiction. En revanche, toutes les vedettes et les personnages historiques qu’il rencontre furent réels, ainsi que tout ce qui leur arrive. Par exemple, Dizzy Gillespie est bien venu à Tunis pour encourager les G.I.s américains avant qu’ils ne libèrent l’Europe. Chaque lieu est remis en contexte, que ce soit le Tunis des années 1930-1940, le New York des années 1950 ou les États du Sud des États-Unis pendant la lutte pour les droits civiques. Mais les personnages ne sont pas inspirés de faits réels.

P. — Dans vos romans, vous faites toujours le choix de mettre en scène des personnages qui luttent pour réaliser leurs rêves. Pourquoi ?
P. H — Je parle beaucoup d’enfants dans mes romans mais d’une manière générale, ce qui m’intéresse, c’est comment un être qui sent monter en lui un talent arrive à cultiver cette envie pour en faire un projet. Il donne un sens à sa vie alors que tout autour de lui l’en empêche. Persévérer dans ce qu’on est, arriver à s’accomplir est une chose qui m’a toujours interrogé. Je voulais aussi écrire un roman d’aventures. J’aime raconter des histoires. J’ai voulu suivre Darius quasiment « caméra à l’épaule », sur différents continents, pendant plusieurs décennies. J’ai voulu raconter plusieurs années de sa vie en onze plans et en faire une histoire unifiée et cohérente, sans aucune coupure.

P. — Pour terminer, j’ai envie de m’intéresser à votre titre. Quel est cet endroit où bat le cœur du monde ?
P. H. — « Où bat le cœur du monde ? » est la question que se pose Darius lorsqu’il entend du jazz pour la toute première fois. Il se dit que cette musique rend la vie supportable et qu’il lui reste des choses à voir. Il décide de partir à la recherche de ce que l’existence a de plus beau, dans ses rencontres, ses paysages. Pourtant, quand Darius joue, il a perdu sa voix. Il ne la retrouve jamais, mais le jazz lui en donne une autre. Cette voix fait vibrer ce que le monde a de plus beau, cet endroit précis où l’on atteint sa vérité. La quête de Darius est la recherche de ce lieu où, pour lui, bat le cœur du monde.

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