Polar

Donato Carrisi

Malefico

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photo libraire

Chronique de Florence Raut-Trouillard

Librairie La Libreria (Paris)

Amateur d’intrigues complexes, de romans à tiroirs malins et, c’est le cas de le dire, diablement bien ficelés, ne passez pas votre chemin, Malefico est pour vous. Loin des facilités d’un ésotérisme convenu, Donato Carrisi, auteur de thrillers, ancien criminologue et scénariste, nous livre un roman bluffant, mené à un rythme infernal !

Marcus est un homme sans mémoire. Il ne sait qu’une chose : il est prêtre et pas n’importe quel prêtre. Sa mission consiste à enquêter pour le compte du tribunal de la Pénitencerie, organe tout à fait officiel et tout à fait discret du Vatican qui, depuis le XIIIe siècle, juge en secret les péchés les plus monstrueux. Sa capacité d’observation exceptionnelle lui permet de voir les anomalies sur les scènes de crime, là où elles échappent à tous. À tous… sauf peut-être à Sandra qui, elle aussi, exerce un regard particulier sur ces scènes puisqu’elle est enquêtrice photo pour la police scientifique. Ces deux-là vont se croiser, s’attirer sans doute et surtout suivre les traces d’un tueur machiavélique, protégé par d’obscures mais bien réelles puissances. Rome, ses églises, son extraordinaire passé, sont le théâtre parfait de cette course-poursuite où les contes de l’enfance fréquentent dangereusement les territoires de l’horreur. Des images fortes, une grande culture et une maîtrise consommée de l’art du récit, sans temps mort. C’est maléfique et raffiné.


Page — Après Le Tribunal des âmes (Le Livre de Poche), on retrouve la mystérieuse figure de Marcus, prêtre, pénitencier pour être plus précis. Comment s’est passée votre rencontre avec ce personnage et son milieu « professionnel » si particulier ?
Donato Carrisi — Cette rencontre est le fruit du hasard ! Je cherchais l’inspiration et je suis tombé, comme cela arrive souvent, sur une histoire totalement inattendue. J’ai rencontré un prêtre, le père Jonathan, membre du tribunal de la Pénitencerie apostolique, institution dépendant du Vatican. Il collabore avec la police sur des cas présentant des éléments étranges, insaisissables et inaccessibles aux habituelles techniques d’investigation. Au cours d’une longue promenade dans les rues de Rome, il m’a parlé de sa mission de « théologien-détective » et du fonctionnement de la Pénitencerie et de ses incroyables archives du Mal. Celles-ci regorgent de confessions portant sur les péchés les plus terribles. Ceux que les simples prêtres entendaient, mais ne se sentaient pas le pouvoir d’absoudre, y sont consignés depuis le XIIIe siècle. Imaginez ma stupéfaction ! Le saint Graal pour un auteur de thrillers ! J’ai très vite imaginé la trame d’un roman. Le livre et ses personnages sont littéralement nés, entre chien et loup, lors de ce crépuscule romain.

P. — Le Vatican, derrière ses hauts murs, est par essence un lieu de secrets, de mystères. Vous avez pénétré les milieux du Vatican et il semblerait qu’ils vous aient ouvert grand les portes de leurs archives. Cette confiance ne vous a pas pesé ? Vous êtes-vous senti libre de faire évoluer votre protagoniste comme bon vous semblait et de révéler cette très discrète mission de l’Église ?
D. C. — Cela a été une limite, je l’avoue. Mais aussi un défi, parce que je n’avais rien à inventer : l’histoire était là, à portée de main, et il me suffisait de la saisir. C’est infiniment fascinant de se plonger dans ce monde de secrets vieux de plusieurs siècles, et je reconnais bien volontiers l’immense privilège qui m’a été accordé. Néanmoins, malgré le poids de l’Histoire, chaque découverte faite dans les archives ou au cours de mes recherches, me ramenait à des aspects incroyablement modernes et actuels de notre société et de son rapport au Mal ! Fondamentalement, le Mal ne change pas.

P. — Il y a très peu de moments de répit dans la trame du roman (y en a-t-il d’ailleurs ?). Comment parvient-on à cette cadence infernale, où les rebondissements et les surprises se succèdent ? Comment trouve-t-on son chemin à l’intérieur de cet incroyable labyrinthe créé par vos soins ?
D. C. — Ma formation de juriste spécialisé en criminologie et en sciences du comportement, associée à une bonne dizaine d’années de travail en tant que scénariste, me garantissaient de bonnes bases ! Et j’expérimente toujours personnellement ce que j’écris. Ce sont mes peurs et mes pires cauchemars que vous retrouvez dans mes pages. Si je n’éprouve pas chacune des émotions que je couche sur le papier, comment puis-je espérer que les lecteurs me suivent dans ce voyage au cœur des ténèbres et de l’inconnu ? En outre, de manière très concrète, je passe énormément de temps à faire des recherches. Pour ce livre, j’ai passé deux années dans les archives vaticanes. Le parcours initiatique de Marcus pour parachever sa formation de pénitencier est bien réel.

P. — La ville de Rome occupe dans votre roman une place essentielle. On est loin de l’image solaire habituelle de la capitale italienne ! Vous nous offrez une promenade inquiétante et très érudite. Parlez-nous de cette ville qui vous sert de scène de crimes.
D. C. — J’ai voulu que Rome soit la protagoniste du roman, au même titre que Marcus et Sandra. Je lui ai donné une âme, une voix. Il fallait que même les lecteurs qui ne connaissent pas la ville éternelle se sentent chez eux en lisant… Un chez eux plein de mystères. Rome est une ville née dans le sang : Rémus n’a-t-il pas tué son frère ? Nombreux sont les assassinats qui ont jalonné sa longue histoire, de l’Antiquité à aujourd’hui. Inutile de préciser que le Vatican et la papauté n’ont jamais été en reste sur ce plan. Pour vous donner un exemple, le père Jonathan m’a expliqué que le nom de son principal monument viendrait de colis, « adore », et eum, « le », autrement dit : adore-le. Où « le » serait le diable. Le Colisée, symbole de Rome, est le lieu où des milliers de personnes venaient assister à des spectacles sanguinaires. Le Mal n’est pas une idée abstraite… et il peut aussi être « divertissement ».

P. — Les contes et les éléments fabuleux sont très présents dans vos romans. Pouvez-vous nous parler de votre rapport aux contes de l’enfance ?
D. C. — J’ai grandi dans les Pouilles et j’étais un enfant dissipé ! Ma mère, pour me calmer, inventait pour moi des contes et des petites pièces de théâtre dont j’étais parfois le protagoniste. Ces histoires étaient inoffensives et pleines d’innocence… en apparence. Bien sûr, elles recelaient une part de noirceur. Elles étaient censées me mettre en garde contre les dangers du monde. Je crois que j’ai intégré cette manière de raconter les choses. Au fond, mes romans sont des contes obscurs qui parlent à l’enfant qu’abrite chaque lecteur.