Littérature française

Régine Detambel

Les Livres prennent soin de nous

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photo libraire

Chronique de Noémie Vérot

Librairie Rive gauche (Lyon)

Intuitivement, nous savons tous qu’un livre peut nous « faire du bien », voire même changer notre vie. Mais quelle mécanique la lecture actionne-t-elle pour générer de tels effets ? Quel est ce fameux pouvoir du livre ? Et de quels livres parlons-nous ?

Régine Detambel est écrivaine. Elle est aussi kinésithérapeute et bibliothérapeute. Elle a l’habitude de soigner les corps par une méthode originale et novatrice. Dans Les Livres prennent soin de nous, elle développe sa bibliothérapie créative, c’est-à-dire littéraire. Il ne s’agit pas de guérir de la dépression en lisant un livre « d’auto-traitement » sur la dépression (ou livre médicament). La bibliothérapie créative est une expérience viscérale, la rencontre profonde, intime, physique et unique entre un lecteur et un livre singulier. Il s’agit de rentrer en relation physique avec le livre, avec sa peau, ses mains, sa voix, son corps tout entier. Caresser les pages d’un livre est fondamental ! Si le livre nous « fait du bien », c’est qu’il nous remet en marche, qu’il parvient à changer notre état psychologique. Le lecteur va pouvoir s’identifier, se recréer par le truchement des personnages qui sont pour lui des modèles de vie, qu’il peut tester « sans risque », car il ne s’agit pas de la « vraie vie ». En se réinventant, il modifie son psychisme et change de comportement. « Nous avons besoin de livres qui agissent sur nous, […] un livre doit être la hache pour la mer gelée en nous », écrit Kafka.

 

Page — Qu’est-ce qui, dans le texte lui-même, permet au lecteur d’être modifié profondément, physique-ment et psychologiquement ? Quel est le principe actif du livre de bibliothérapie ?
Régine Detambel — Il y a de nombreux paramètres dont le bibliothérapeute pourra tenir compte. Le sens du texte n’est pas l’essentiel. On peut estimer qu’une dizaine de facteurs entrent en jeu, de la musicalité de la phrase à la symbolique du papier, en passant par la catharsis ou l’identification.

P. — En effet, pour vous, la lecture, grâce à l’identification au personnage, permet « l’acquisition de défenses psychologiques contre les événements du jour : ainsi agit l’histoire de chaque soir, qui répare le psychisme des enfants et les prépare aux inévitables anicroches du lendemain ». Vous avez beaucoup travaillé sur la vieillesse, notamment dans Le Syndrome de Diogène, éloge des vieillesses, publié en 2008 chez Actes Sud. Les livres, écrivez-vous, permettent aux personnes âgées de « retrouver le fil de leur propre existence tout en les libérant du poids du temps ».
R. D. — La vieillesse n’est pas un mal. Ce qui est terrible, c’est la manière dont nous nous la représentons, la manière dont notre société la regarde. Du coup, le miroir tendu aux sujets âgés est si négatif qu’ils souffrent. Les récits non stéréotypés contenus dans de bons livres permettent au sujet âgé de ranimer sa subjectivité, de redynamiser son être au monde, loin du carcan, du costume étriqué que la télévision, par exemple, tend au sujet âgé.

P. — Colette vous accompagnera dans la vieillesse bien mieux que la télévision, dites-vous. Ce qui vaut pour la vieillesse vaut pour tous les « bouleversements du corps », la maladie, la ménopause, le handicap, tout ce qui nous submerge et qu’on ne parvient pas à comprendre sans le secours des métaphores et autres récits apaisants. Pourquoi la bibliothérapie est-elle beaucoup plus efficace avec du livre papier ?
R. D. — Disons que la tablette n’enlève rien au sens du texte, à son rythme, à sa musicalité. Mais elle fait perdre le contact avec le corps, la peau. Nous sommes en demande de la peau du papier, nous avons un besoin physique de griffer le papier, de le marquer. Et puis l’accompagnement par un livre en papier, le fait de pouvoir inscrire notre être dans la marge, de nous signaler dans ses pages en soulignant le texte, est un moment essentiel.

P. — Comment pratiquez vous la bibliothérapie ? Que fait-on dans vos ateliers ? La lecture à voix haute ou la lecture silencieuse ?
R. D. — En fait, je ne pratique plus directement la bibliothérapie. Je m’efforce à présent de former les libraires, les bibliothécaires, les soignants, les enseignants, les lecteurs convaincus à la « bibliocréativité », ou bibliothérapie créative, c’est-à-dire à la manière dont ils pourraient, dans leur propre environnement, quel qu’il soit, ouvrir le livre à sa dimension corporelle, physique, redynamisante pour le psychisme. Cela passe par la lecture à haute voix, oui, mais par bien d’autres médiations. L’atelier d’écriture, la discussion… Chacun de mes stagiaires a son programme, son projet, depuis le prof de yoga qui veut intégrer la bibliothérapie à son enseignement, au libraire qui veut mettre du corps dans son geste commercial.