Beaux livres

Dominique Missika

Les Françaises

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photo libraire

Chronique de Sandrine Maliver-Perrin

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Il semblerait que la femme soit l’avenir des libraires en cette fin d’année, ou qu’elle leur porte chance. Les éditeurs ont en effet choisi de miser sur le deuxième sexe en cette période de fêtes, en nous offrant de très beaux ouvrages, qui feront des cadeaux de choix. Hommage à toutes les femmes du monde.

Il reste encore beaucoup à faire quant à la place et au statut des femmes dans nos sociétés. Être féministe ne signifie pas forcément être en guerre ou en conflit permanent avec l’autre sexe, mais créer et trouver sa place. En ce sens, je suis féministe. Et si l’histoire du monde semble avoir toujours été une affaire d’hommes, les femmes y ont contribué et ont bâti leur propre histoire. Une histoire dans l’Histoire. Une histoire difficile et qui est loin d’être écrite. Quid de nous, les Françaises, par exemple ? Dominique Missika, auteure de Les Françaises, nous emmène justement sur leurs traces. Ah ! la Française… Une élégante enviée par les femmes du monde entier pour son raffinement… Mais une élégante parée depuis des siècles d’une réputation sulfureuse et peu glorieuse ! Coquette, cocotte, frivole, friponne… Femme soumise passant ses journées à cuisiner et à faire la lessive… Dernière ou presque à obtenir le droit de vote… L’Hexagone n’aurait-il donc donné naissance qu’à de jolies écervelées adeptes du french cancan et du french kiss ? Absolument pas ! Certes, nul n’oubliera l’exotisme exubérant de Joséphine Baker ou l’érotisme torride de Brigitte Bardot, et c’est heureux : ces femmes n’étaient autre que des insoumises ayant un besoin profond de liberté et le courage d’être soi. Elles ont été de véritables pionnières et, en prenant le risque de s’affranchir de leur temps, ont écrit l’histoire et contribué à la défense des libertés. Les Françaises, soyons-en fiers, ont mille facettes : grandes écrivaines, combattantes passionnées, politiciennes désireuses de changer le monde, les exemples ne manquent pas. Lydie Salvayre vient ainsi de rejoindre le club très fermé des écrivaines ayant remporté le prix Goncourt, aux côtés d’Elsa Triolet et de Simone de Beauvoir – féministe et écrivaine de choc, aussi belle qu’intelligente. Marthe Richard fut une des premières femmes pilotes du monde. Simone Weil s’est battue pour faire triompher la liberté. Le courage n’a pas de sexe… Camille Claudel fut une artiste d’exception à une époque où l’art était réservé aux hommes*. Elle est d’ailleurs l’une des héroïnes du livre de la journaliste Audrey Pulvar qui, dans Libres comme elles, brosse le portrait de vingt-et-une femmes d’exception. Des femmes qui ont fait des choix artistiques, littéraires, politiques ou personnels allant à l’encontre de leur époque et des conventions sociales. Loin des biographies habituelles, elle pose un regard très personnel sur ces femmes qui l’ont inspirée et explique comment elles l’ont aidée à se construire et à structurer sa pensée féministe, aux côtés des femmes de son entourage. De Karen Blixen à Marilyn Monroe, de Simone de Beauvoir à Gisèle Halimi, de Louise Michel à Angela Davis, toutes partagent avec l’auteure l’amour de la littérature ou des mots, et ce que l’écrivaine anglaise Jeanette Winterson appelle « ce sentiment pénible et insupportable de ne pas être à sa place, de ne jamais la trouver ». Toutes ont été, à un moment ou à un autre, submergées par ce sentiment et ont décidé de prendre leur vie en main. Pour trouver, envers et contre tout, envers et contre tous, leur place et leur liberté. Ceux qui préfèrent les images se tourneront plutôt vers le livre de la photographe Véronique Durruty. Elle se souvient des femmes qu’elle a croisées au cours de ses voyages. Se côtoient au fil des pages de ce magnifique ouvrage, photographies, esquisses et dessins. Conteuses, mères, bergères au port de reine, nonnes, putains, les routes du monde sont semées de femmes aussi ordinaires qu’extraordinaires, qui n’ont nul besoin d’être dans la lumière pour nous fasciner. Terminons ce tour du monde féminin par trois femmes puissantes, dont l’œuvre poétique est réunie dans un coffret publié par les éditions de la Différence. Anna de Noailles, figure adulée ou décriée, amie de Barrès, de Cocteau, louée par Proust et par Colette, qui célèbre les joies et les peines d’amour. Et Hildegarde de Bingen, dont les chants mystiques sont empreints d’une foi et d’un amour inconditionnel… Enfin, Emily Dickinson, la dame en blanc d’Amherst, recluse par dépit d’amour. Ses « escarmouches », brèves pièces de vers qui nous sont livrées ici, sont une floraison aussi dense que sombre, et ne font la part belle ni à l’homme, ni à l’espérance. La perte et l’effroi, jalonnent un monde exigu, lieu de renoncements illimités, mais aussi de constantes métamorphoses. Chère Emily, vous qui m’accompagnez depuis mon adolescence, je me plais à vous imaginer errant tel un fantôme sur la lande battue par les vents. Ou écrivant ces mots dans l’obscurité de votre chambre : « Je suis Personne. Qui êtes-vous ? êtes-vous personne aussi ? Que c’est pénible d’être quelqu’un ». Seriez-vous déçue ou effrayée de savoir que vous n’êtes plus « personne » aujourd’hui, mais une étoile parmi les étoiles ? Les plus grands de ce monde vous admirent et vous célèbrent. Et si j’aspire moi-même à vivre cachée et n’ai que peu de foi en ceux qui pensent être quelqu’un, je sais aussi qu’aucune femme en ce monde n’est personne et que nul n’a le droit de la considérer comme telle.