Essais

Hervé Kempf

L’Écologie du XXIe siècle

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photo libraire

Chronique de Paco Vallat

Librairie Terre des livres (Lyon)

Pablo Servigne, qui se présente comme un chercheur in-terre-dépendant, est essayiste et militant écologiste. Son best-seller Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015), co-écrit avec Raphaël Stevens, a fait découvrir au grand public son champ d’étude, la « collapsologie » ou étude de l’effondrement.

Le recueil d’entretiens L’Écologie du XXIe siècle présente un panel très large de points de vue et de pratiques militantes : de la désobéissance civile à la politique institutionnelle, de la ZAD aux luttes des quartiers populaires de Paris. Que pensez-vous de la multiplicité de ces luttes et de leurs possibles interconnexions ?

Pablo Servigne — La multiplicité est plutôt bienvenue. Je sais que beaucoup de personnes sont irritées par cette diversité et qu’ils préfèreraient rester entre soi, dans une sorte de pureté politique, stratégique et morale, mais pour ma part, je pense qu’on a besoin de ce dissensus, de ces contradictions, de ces différentes manières de voir les choses, de différentes stratégies. Pour les interconnexions, je trouve important de garder un degré de liberté, une certaine porosité entre les pratiques et les groupes, car les gens peuvent passer de l’un à l’autre ou appartenir à plusieurs groupes, sans compter qu’ils peuvent évoluer dans leurs opinions. Cela implique donc automatiquement une certaine bienveillance entre les organisations, une tolérance sur les stratégies utilisées par les autres. Et on en est loin !

 

Vous dites avoir été inspiré par les penseurs de la décroissance. Comment pouvons-nous aujourd’hui faire avancer la société dans cette direction ?

P. S. — J’avoue que je suis un peu perdu, comme beaucoup de monde. Personne n’arrive à arrêter cette mégamachine ! Et qui la contrôle vraiment ? Les ordinateurs et les algorithmes ? Certains actionnaires de grands groupes ? Donc je sortirai la réponse classique, un triple mouvement : simultanément provoquer des actions de blocage, aller vers plus de sobriété individuelle et collective, et enfin faire pression sur les politiques. Ceci dit, dans votre question, je trouve le mot « direction » intéressant, et c’est là qu’il y a aussi un gros travail à faire, sur les horizons possibles, les récits qui donnent envie, qui portent, qui rassemblent. Par exemple, je ne suis pas sûr que nous ayons tous la même vision de la décroissance et je ne suis même pas sûr que ce soit un horizon.

 

Vous évoquez, dans votre entretien, les « autres qu’humains ». Pourquoi ce terme et quel rapport au monde implique-t-il ?

P. S. — C’est un terme pour désigner les autres organismes vivants : les plantes, les animaux, les bactéries, les champignons… Et il est plus positif que « non-humains ». Aussi, il amène l’idée que les autres organismes ont autre chose que les humains. Certains auteurs parlent même de « plus qu’humains » ! Ce sont des expressions qui viennent naturellement lorsqu’on change de vision du monde, lorsqu’on tente de passer de l’anthropocentrisme au biocentrisme, c’est-à-dire la vision que l’espèce humaine n’est plus le centre de tout, c’est une espèce parmi les autres, imbriquée dans un tissu complexe et dense d’interactions.

 

Comment lutter contre l’angoisse de l’effondrement ? La joie de l’action et de la solidarité sont-ils des moyens suffisants ?

P. S. — C’est déjà pas mal, non ? Non, plus sérieusement, je n’aborderais pas le problème sous la forme d’une « lutte ». Il faut accueillir les émotions, les nommer, les partager, les écouter, c’est comme ça qu’elles deviennent plus fréquentables. C’est votre corps qui vous parle, il ne faut pas « lutter » contre elles ! La peur est normale, elle vous montre les limites, et le courage, c’est un signal important. Et puis il faut relativiser, il y a plusieurs types de peurs : l’anxiété, l’angoisse, la peur, la vigilance, etc. et toutes n’ont pas les mêmes effets sur les gens, sans compter que certaines personnes réagissent plus ou moins bien à ces peurs. Il y a une « psychodiversité » à prendre en compte.

 

Avez-vous, dans vos pratiques personnelles, réussi à dépasser la collapsologie (le constat de l’effondrement) pour aller vers la collapso-praxis (l’action politique en vue de l’effondrement) ?

P. S. — Je ne pense pas qu’il faille dépasser la collapsologie. Dépasseriez-vous la climatologie ou l’océanographie ? Par contre, c’est vrai qu’une fois que vous avez intégré le risque, il est nécessaire d’avancer vers une voie « intérieure », une sagesse, pour ne pas devenir fou (c’est ce que nous avons appelé la collapsosophie), et aussi vers une voie « extérieure », c’est-à-dire l’action, pour retrouver le collectif, l’entraide, la joie et donc l’espoir. C’est ce qu’on pourrait appeler la collapsopraxis. Mes pratiques vont dans les trois directions (comprendre, ressentir, agir), j’essaie d’équilibrer, mais certaines personnes sont plus attirées vers l’une ou l’autre voie.

 

L’Écologie du XXIe siècle est un recueil d’entretiens d’acteurs et d’actrices du milieu écologiste contemporain. Coordonné par Hervé Kempf et l’équipe du journal Reporterre, ce livre illustre le large champ d’action que désigne le terme écologie aujourd’hui. Un recueil pour cartographier la pensée écologique actuelle, accessible et varié, et qui appelle à la créativité et à l’espoir.