Essais

Pierre Rosanvallon

Le Parlement des invisibles

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Chronique de Raphaël Rouillé

Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès (Saint-Christol-lez-Alès)

Pas moins de cinq parutions ouvrent la nouvelle collection des éditions du Seuil dirigée par Pierre Rosanvallon et Pauline Peretz. Aux côtés d’un site Internet participatif, la collection « Raconter la vie » souhaite redonner la parole à des existences oubliées, négligées ou cachées, en les sortant de l’ombre.

Faisant le constat d’une situation extrêmement inquiétante, Pierre Rosanvallon explique, dans Le Parlement des invisibles, son livre manifeste à l’origine de la collection, comment il souhaite « remédier à la mal-représentation qui ronge le pays ». Cet ouvrage part d’un projet éditorial autant que démocratique, moral et social, se posant la question de l’attente de reconnaissance et de l’incompréhension de la population face à des discours politiques peu crédibles, niant certaines existences et certaines réalités. Dans la lignée d’initiatives isolées comme celles de Pierre Michon avec ses Vies minuscules (Folio), Jean-Christophe Bailly, Jean Rolin ou encore Florence Aubenas et son Quai de Ouistreham (Points), la collection « Raconter la vie » se veut plurielle et non figée dans une catégorie. Proposant des ponts entre littérature et analyse sociologique, entre témoignage et enquête journalistique, elle entend explorer des trajectoires de vie, des lieux sociaux ou de grands moments de la vie. Citant Pierre Bourdieu pour La Misère du monde (Points) ou Michel Foucault formulant un projet de « vies infimes et singulières », Pierre Rosanvallon veut aussi et surtout donner la parole à des gens ordinaires afin de rendre la société plus lisible. C’est le cas avec le témoignage d’Anthony, ouvrier d’aujourd’hui. âgé de 27 ans, l’homme raconte son itinéraire, à partir du jour où il décroche du lycée, à 16 ans, et sa découverte difficile du monde professionnel, avec ses doutes, ses incertitudes et la précarité de chaque instant. « J’avais rêvé d’un secteur où on serait respecté et utile, et où l’humain serait considéré », écrit-il face à la promesse décevante de l’emploi mais avec l’ambition de « tenir bon ». Dans La Course ou la ville, nous découvrons le quotidien d’un chauffeur-livreur écartelé entre le contrôle à distance des patrons, le stress des délais, le mécontentement des riverains en raison des embouteillages provoqués, de la pollution générée et les impératifs de gestion. Chercheur au quotidien ouvre les portes d’un laboratoire, celui de Sébastien Balibar, chercheur en physique. Autre milieu, autres doutes, autres contraintes. Cette plongée au sein de la découverte scientifique aborde la création, la solitude parfois et le quotidien d’un métier finalement peu connu. Enfin, dans La Femme aux chats, Guillaume Le Blanc explore l’existence de Karine, à la fois contrôleuse des impôts et passionnée de félins. Se réalisant à travers sa passion plus qu’à travers son métier, Karine a trouvé un semblant d’équilibre. « Entrer dans une vie, c’est saisir ce qui la fait tenir, son principe d’espérance et de maintien dans le monde. Karine refuse de loger dans un seul monde, celui de son travail, trop étroit pour elle », écrit Guillaume Le Blanc. À chaque page, nous entrons un peu plus dans cette vie des autres afin de comprendre les aspirations de chacun, qui ne sont pas si éloignée des nôtres et que l’on raccorde intuitivement à une histoire plus collective, celle de la société française. De la parole à l’échange, la frontière n’est pas loin, avec la promesse de cultiver notre empathie pour autrui.

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