Essais

Stefan Koldehoff , Tobias Timm

L’Affaire Beltracchi

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photo libraire

Chronique de Jérôme Dejean

Librairie Les Traversées (Paris)

Difficile de peindre la réalité, de démêler le vrai du faux, en particulier lorsqu’il s’agit de la vie d’un faussaire et de son œuvre. Pourtant, hasard de l’actualité littéraire, trois livres se penchent sur le sujet et apportent un début de réponse, chacun à leur manière, tout en contraste.

Dans Mort d’un faussaire de Conor Fitzgerald (Rivages), on trouve ces quelques phrases qui résonnent et se répondent dans les trois ouvrages. « Reproduire un tableau ou le peindre dans le style d’un grand maître de la peinture n’est pas un crime, commissaire, ce que vous n’ignorez pas, bien sûr. La loi interdit en revanche de le proposer à la vente comme un original. (…) Le plus souvent, le client acceptait et entrait ainsi en possession d’un tableau signé du nom de famille de l’artiste, mais pas de son prénom comme il est d’usage pour les imitations. Or, la loi n’interdit pas ce genre de transaction. La contrefaçon, la vente, et même le vol et la propriété, toutes ces notions restent difficiles à cerner dans le domaine de l’art. D’un point de vue strictement légal, c’est le règne du flou le plus complet. » Conor Fitzgerald nous entraîne dans la Ville éternelle, qu’il connaît bien, sur les traces d’Henry Tracey, peintre doué et faussaire de génie retrouvé mort sur une place du quartier de Trastevere. Une enquête qui conduit le commissaire Alec Blume et l’inspectrice Caterina Mattiola dans le milieu des marchands et des collectionneurs d’art peu scrupuleux. Ils croisent la route du très étrange Farinelli, colonel des carabiniers et spécialiste de la fraude aux œuvres d’art. Plus que les tableaux retrouvés dans son atelier, les cahiers de l’artiste sont la clé de cette affaire et pourraient révéler d’autres secrets, bien plus dérangeants encore. De jeux de piste et d’investigations policières, il en est également question dans l’enquête minutieuse qu’ont menée deux journalistes allemands dans L’Affaire Beltracchi qui sort en poche chez Babel. Ils reviennent sur l’un des plus grands scandales de faux tableaux de ces dernières années. Les personnalités des principaux protagonistes, l’enquête qui aboutira à l’arrestation du couple, le procès, la condamnation, sont passés au crible. Mais les auteurs s’attardent surtout sur les rouages du marché de l’art. Ses errements, ses tâtonnements et posent in fine la question qui dérange : à qui profite le crime ? Enfin, richement illustrés de croquis, dessins, peintures et photographies, l’Arche publie le livre d’Hélène et Wolfgang Beltracchi. Roman d’une vie, d’un parcours et d’une rencontre amoureuse, le livre peut se lire comme un polar. Aujourd’hui installés dans le centre historique de Montpellier, les Bonnie & Clyde du marché de l’art tentent de remettre les pendules à l’heure, d’expliquer l’enchaînement des événements, les erreurs, les négligences, la spirale de l’argent. Un portrait sans fards, tout en nuance. Comme une réponse. Trois livres, trois styles, trois enquêtes. Une palette assez large pour se faire sa propre opinion. Mais surtout une plongée dans le monde fascinant des faussaires, des interrogations sur le marché de l’art et ses dérives. Et une question qui reste en suspens, comme une toile blanche sur un chevalet, à peindre : qu’est-ce qu’un artiste ?

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