Littérature française

Jean-Claude Ellena

Journal d'un parfumeur

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photo libraire

Chronique de Aurélie Paschal

Pigiste ()

Jean-Claude Ellena est nez pour la maison Hermès. Il a choisi d’écrire cet ouvrage pour témoigner de son métier. Il en résulte un très joli journal qui évoque les sens et l’essence de ces parfums, mais aussi la sensualité des senteurs et la création des parfums. Vous allez apprendre à respirer la vie !

PAGE :  Il plane autour du métier de nez une sorte de mystère, parfois même une fascination. Dans cet ouvrage, vous vous mettez à nu, vous racontez votre vie professionnelle, ses bonheurs et ses travers. Pourquoi ce désir de dévoiler votre travail ? Est-ce de votre part une volonté de « casser le mythe » ?


Jean-Claude Ellena : J’avais publié en 2007 un « Que sais-je ? » aux éditions des PUF qui faisait un état des lieux de la parfumerie aujourd’hui et dans lequel j’exposais ma vision, mon approche du parfum. Il s’agissait d’expliquer d’une façon simple ce monde « mystérieux », comme vous dites, et d’en finir avec un certain nombre d’idées fausses. Mais c’est difficile, les préjugés sont légion, notamment parce qu’il existe dans l’univers de la parfumerie une culture du secret. L’envie d’écrire Journal d’un parfumeur est née de l’idée que ce métier pouvait prendre une dimension artistique, et que la forme littéraire était susceptible d’en faciliter l’accès, de mieux faire comprendre cette activité. Quant au « mythe », je pense que le parfum ne peut être considéré comme un art que s’il se défait des fantasmes et de l’espèce de sacralité dans lesquels on l’enferme parfois.


 

P. : Vous dites qu’en Inde, les hommes portent du Shalimar. Selon vous, est-ce la personne qui définit le parfum ou le parfum qui définit une personnalité ?


J.-C. E. : La relation au parfum est une chose très personnelle et il m’est impossible de définir la personnalité de quelqu’un en fonction du parfum qu’il porte. En utilisant un parfum comme Shalimar, je ne peux savoir si vous désirez vous protéger ou vous projeter, vous affirmer.


 

P. : Dans l’abrégé d’odeurs qui conclut votre livre, chaque senteur est réduite à sa composition chimique. Mais une odeur est une formule chimique et cette formule doit rappeler cette odeur. On sent que votre esprit est sans cesse en mouvement : passer d’une odeur à une formule, de la chimie à la sensualité d’un parfum… Connaissez-vous à l’avance les meilleures associations, ou êtes-vous sans cesse lancé dans une quête d’inédit et d’audace ?


J.-C. E. : Une senteur ne se réduit jamais à sa fonction chimique, elle correspond à son signe au sens sémantique du terme. La couleur est le résultat d’ondes, l’odeur procède quant à elle d’une opération chimio-électrique… Mais ce n’est pas de cela dont je parle. Je cherche en permanence la façon la plus simple d’exprimer une odeur, et si j’ai des centaines d’odeurs en mémoire, je recherche en permanence de nouvelles combinaisons et de nouvelles odeurs, c’est une quête sans limites.


 

P. : Vous travaillez pour une grande maison, la maison Hermès, et je suppose que vous êtes régulièrement confronté à vos créations, au détour d’un chemin, dans la rue, au restaurant. Quelles sortes d’impressions ressent-on en constatant que d’autres se sont appropriés le parfum dont on est l’auteur ?

J.-C. E. : C’est une impression très agréable. J’imagine que pour un compositeur de chansons, entendre siffler ou chanter dans la rue quelques notes qu’il a composées produit le même sentiment. Cela fait partie des plaisirs égoïstes.


 

P. : Vous avez l’air de déplorer les nouvelles normes européennes en matière de composition chimique, ainsi que la prédominance du marketing. Votre métier a-t-il évolué ? Est-il davantage qu’avant déterminé par le commercial au détriment de l’artistique ?


J.-C. E. : Il faut observer avec beaucoup d’attention et de sérieux les normes européennes, car leur principal souci consiste à protéger la santé publique. Et si parfois je déplore certaines réglementations, c’est que les décisions sont trop rapides et soumises de façon excessive au « principe de précaution ». Cela traduit souvent un manque de temps, de concertation, de travail. Mais je déplore bien plus l’intrusion du marketing dans la prise de décision et le choix d’un parfum. Si le marketing a un rôle considérable à jouer dans la promotion d’un produit, il ne doit pas, à mon sens, intervenir dans l’étape de sa création. Ça ne relève nullement de sa compétence, or, on confond trop souvent innovation et création. Il se trouve que ce n’est pas le cas chez Hermès, où la décision de lancer un parfum est la seule prérogative de la présidente des parfums, en accord avec le parfumeur. 

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