Littérature étrangère

Fiona Kidman

Fille de l’air

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Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

En janvier, à Wellington, Nouvelle-Zélande, c’est le plein été. Une conversation chez Fiona Kidman autour de son œuvre. Elle a consacré son nouveau roman à la très intrépide aviatrice Jean Batten, surnommée « la Garbo des cieux », et devenue héroïne nationale après avoir réalisé le premier vol solo Londres-Auckland en 1936.

Quand Jean Batten est née, en 1909, Blériot venait de traverser la Manche à bord de son monoplan. Sa mère, Nellie, épinglera le portrait de l’aviateur au-dessus du berceau. Jean grandit à Rotorua, petite ville thermale de North Island, où la famille côtoie une forte communauté maorie. De son enfance, elle a gardé la blessure de la séparation de ses parents et la méfiance vis-à-vis des hommes. Très jeune, elle est portée par le rêve de piloter et de battre des records. Accompagnée de sa mère, comme elle le sera toujours, elle part pour l’Angleterre et passe son brevet. Elle s’endette pour acheter son propre avion et se lance à l’assaut des cieux, avec en ligne de mire, la traversée Angleterre/Nouvelle-Zélande, qu’elle réussira en 1936. Une étape décisive dans le développement futur de son pays. Rien ne peut l’arrêter, ni un atterrissage forcé dans un désert pakistanais, ni une panne de carburant près de Rome. Une figure de femme incroyablement romanesque à qui Fiona Kidman rend un hommage sensible.

 

PAGE — Vos romans (Rescapée, Le Livre des secrets - Sabine Wespieser, Fille de l’air - Points) nous emportent sous votre plume à la fois épique et sensible. Vous y tressez avec brio les destinées collectives et l’exploration de l’intime. Il semble que votre inspiration puisée dans l’histoire singulière de la Nouvelle-Zélande vienne de loin ?
Fiona Kidman — En effet. Mes ancêtres arrivèrent d’Ecosse, ici, à Wellington, le 31 janvier 1840, à bord de « L’Oriental », l’un des quatre premiers bateaux qui faisaient partie d’une colonisation planifiée, une semaine exactement avant la signature du traité de Waitangi, un accord signé entre les tribus maories, premier peuple d’Aotearoa (Nouvelle-Zélande) et l’Angleterre. En fait un premier pas vers l’annexion. Mon arrière-arrière-grand-mère ne voulait pas quitter l’écosse et refusait d’embarquer. Son mari, déjà à bord du bateau, a dû descendre la passerelle, a saisi son enfant de ses bras, ne laissant pas le choix à la mère de les suivre. Peu après cette longue traversée, ma grand-mère est née dans cette ville nouvelle, sortie de terre en bordure d’un pays sauvage. C’étaient des femmes robustes avec un fort instinct de survie. J’admire les femmes qui luttent contre l’adversité et qui réussissent à s’en sortir. Je ressens aussi un lien très fort avec la culture maorie : mes enfants ont du sang maori. Aujourd’hui, les nouvelles générations se mélangent davantage, il y a de plus en plus de mariages mixtes.

P. — À quel moment vous êtes-vous intéressée à Jean Batten ?
F. K. — Il se trouve que Jean Batten est originaire de Rotorua, au cœur de North Island, comme moi. « Fille de l’air » (Hine-o-te-rangi) est du reste le nom rituel que les Maoris, parmi lesquels elle a grandi, lui ont donné. Je voyais bien que dans sa ville natale, on n’avait pas d’estime pour elle. En quelque sorte j’ai voulu rendre justice à une femme exceptionnelle. Elle s’est battue contre la pauvreté, la solitude, les échecs, en faisant preuve d’une détermination incroyable. En voulant devenir pianiste, puis danseuse, elle voulait sans doute échapper à une ambiance familiale difficile. Elle a toujours été attirée par le ciel. Elle avait même dans sa chambre d’enfant un portrait de Blériot, une prédestination. En ayant réalisé un rêve plus grand qu’elle, elle a vraiment incarné l’esprit pionnier.

P. — Nous voyons dans le roman comment Nellie, l’émouvante mère de Jean, se projette dans la destinée de sa fille. Vous revenez souvent sur les rapports mère-fille…
F. K. — En effet, c’est important pour moi. J’étais fille unique et j’ai grandi à la campagne : ma mère était ma compagne la plus proche, et cela a duré toute sa vie. En tant que fille, mère et grand-mère, ces liens m’intéressent toujours. Je pense qu’il y a des tensions particulières entre mères et filles. Elles peuvent être les meilleures amies du monde ou les pires ennemies. Dans mon roman, Ellen Batten est la personne la plus proche de Jean, elle partagera sa vie jusqu’à sa propre mort. Jean est vulnérable de bien des façons et Ellen essaie de la protéger, d’abord des rapports conflictuels avec son père et ses frères. Elle a joué son rôle de mère, après tout.

P. — Vous avez toujours été attirée par la culture française, vous avez tissé des liens culturels entre nos deux pays au point d’avoir reçu la décoration de chevalier de la légion d’honneur. D’où vient cette passion ?
F. K. — Quand j’étais jeune, j’ai travaillé à la bibliothèque de Rotorua. à cette époque, peu de personnes de ma génération étaient capables de lire le français. Je me suis lancée à la découverte de cette littérature du bout du monde avec une grande curiosité. C’est difficile à croire, mais Madame Bovary était interdit en Nouvelle-Zélande à l’époque. J’aimais beaucoup Colette et Sagan. Mais c’est surtout la vie et l’œuvre de Marguerite Duras qui m’ont fascinée. Je me trouve des points communs avec elle : une attirance pour les hommes de race différente, et l’intérêt pour l’Asie que j’ai souvent parcourue. Au début des années 1990, j’ai remonté le Mékong, sur un sampan pour me rendre là où elle avait grandi. C’est le mélange de créativité et de fragilité qui me touche chez Duras. Cet amour de la littérature française m’a conduit à participer à la mise en place d’un lieu de résidence pour des auteurs français à Wellington, le Randell cottage. Ainsi nous avons reçu Charles Juliet, Annie Saumont, Dominique Mainard, Nicolas Fargues… entre autres.

P. — Écrivez-vous des romans féministes ?
F. K. — Bien sûr ! Impossible de défendre les droits de l’homme sans être féministe ! Dans toutes les colonies, les droits fondamentaux ont été bafoués. Et ne parlons pas du droit de ces femmes qui avaient des conditions de vie encore plus difficiles que les hommes, sans accès à l’éducation. Comment pourrais-je écrire sur l’histoire de ce pays sans être féministe ?

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