Littérature étrangère

Stefan Zweig , Klaus Mann

Correspondance

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Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

D’une guerre à l’autre, malgré la barbarie à l’œuvre, la production littéraire tourne à plein régime. Romain Rolland, Stefan Zweig, Klaus Mann et Heinrich Mann ne cessent d’interpeller les consciences et de prêcher un indéfectible humanisme. Illustration épistolaire…

La lecture d’une correspondance a la propriété de projeter le lecteur dans un autre présent, où il entre par effraction à travers une brèche des couloirs du temps. Celle de Stefan Zweig (1881-1942), inédite en France dans son intégralité, couvre la moitié du xxe siècle et constitue un précieux témoignage de l’effervescence culturelle européenne. Ses échanges avec Romain Rolland (1866-1944), qui a reçu le prix Nobel pour Jean-Christophe (Albin Michel), durent une trentaine d’années, soit plus de 500 lettres, la plupart en français. Le plus cosmopolite des Viennois, fervent Européen, comme son aîné qu’il admire profondément et qu’il veut faire connaître outre-Rhin, partage avec lui un idéal de dialogue entre les différentes cultures. Les deux hommes, pris dans « les cyclones de haine » de la Grande Guerre, rêvent d’une conférence internationale qui aurait lieu à Genève et réunirait les intellectuels de tous les pays pour une fraternisation des esprits. L’armistice les trouvera l’un et l’autre inquiets des tragédies en gestation au cœur de la nouvelle Europe : « c’est un vieux monde qu’on enterre ». Vingt ans plus tard, l’ardeur et l’intransigeance de Zweig se sont quelque peu émoussées. Au fil des lettres, augmentées des riches notes éclairantes de Dominique-Laure Miermont, on constate que les rôles se sont inversés : à son tour, Romain Rolland est admiré par le jeune Klaus Mann à qui il prodigue ses conseils. Considéré comme un dandy inconsistant par la critique, celui-ci peine à exister en dehors de l’ombre de son père, Thomas Mann. Très tôt alarmé par la montée du parti nazi, il fait preuve d’une lucidité remarquable et se pose en porte-parole de la culture allemande en exil. Il met toute son énergie à lancer une revue littéraire d’opposition Die Sammlung (Le rassemblement), qu’il voit comme « un forum de la jeunesse européenne ». André Gide, Hermann Hesse, Heinrich Mann, entre autres, lui promettent leur contribution. Il sollicite celle d’un Stefan Zweig auréolé de son immense notoriété. Mais celui-ci ne cesse de se dérober au fil des lettres, prétextant des voyages ou des travaux imprévus. Malgré l’énorme déception, il garde une sincère vénération pour l’illustre Viennois. Peut-être est-ce un même regard désespéré sur leur époque qui mènera au suicide, « cette effroyable excursion », ces deux grands voyageurs. Les routes de l’exil ont aussi été arpentées par Heinrich Mann, l’oncle de Klaus. Auteur de Professeur Unrat (Grasset, « Les Cahiers rouges », infatigable pacifiste, citoyen du monde, il ne cessera de croire à l’entente franco-allemande face au « néonationalisme hystérique », selon l’expression de son neveu.

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