Bande dessinée

Guy Deslile

Chroniques de Jérusalem

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photo libraire

Chronique de Enrica Foures

Librairie Lafolye & La Sadel (Vannes)

Après quelques années d’attente, Guy Delisle est enfin de retour avec Chroniques de Jérusalem, son nouveau et passionnant carnet de route. Il y balade son regard ingénu en nous faisant partager, avec sensibilité et humour, ses observations et ses découvertes quotidiennes. Rencontre avec un voyageur badin et concerné.

PAGE : La Chine, la Corée, la Birmanie et maintenant Jérusalem. Chaque voyage ne fait pas forcément l’objet d’un livre. Qu’est-ce qui vous motive à partager telle ou telle expérience avec vos lecteurs ?

Guy Delisle : Il est vrai que je ne réalise pas systématiquement un livre pour chaque voyage. Je suis par exemple allé au Vietnam ou en Éthiopie – pays dans lequel je suis resté une année entière – sans pour autant en faire une bande dessinée au retour. Pour le Vietnam, notre séjour était trop court pour en tirer quelque chose de vraiment intéressant et approfondi. Je serais obligatoirement resté en surface et dans la légèreté, ce que je ne souhaite pas. J’ai donc profité de mon séjour sans prendre de notes ! En ce qui concerne l’Éthiopie, c’est un peu différent. Là-bas, j’ai intégralement écrit Pyongyang , consacré à mon précédent voyage. Concentré sur ce projet, je n’étais donc pas dans l’état d’esprit de faire partager mes expériences africaines – qui furent malgré tout très enrichissantes. Je ne fonctionne pas en réalisant mes bandes dessinées sur place, lors de mes séjours. Je prends des notes, je fais des croquis, puis je les mets en forme au retour. J’ai besoin d’avoir un certain recul pour bien retranscrire les situations, ce qui n’est pas possible quand on est plongé dans le quotidien. Il faut que tout ce que j’ai emmagasiné se décante à froid. Je travaille de manière chronologique, relatant les faits de manière assez simple, tels que je les ai vécus, en gardant les épisodes les plus mémorables. Je vois alors s’il y a matière à en faire un livre ou non.

 

P. : On sent parfois dans ce nouveau volume un besoin d’exprimer votre opinion, peut-être plus que dans les précédents. Est-il difficile de garder une certaine neutralité face aux événements auxquels vous avez été confrontés ?

G. D. : Cette neutralité est toute relative. Je m’efforce en effet de rester simplement narratif, dans une position d’observateur, et d’être juste. Malgré tout, suivant une ONG, j’ai forcément un parti pris humanitaire : on ne peut pas rester totalement neutre dans un pays où les droits de l’homme sont constamment bafoués. J’avoue que je ne porte pas dans mon cœur un gouvernement d’extrême droite qui est aux antipodes de mes idées et de mes valeurs. À côté de ça, la situation à Jérusalem est très intéressante à comprendre et à expliquer. Et en expliquant, je donne parfois mon point de vue. Nous avons appris que nous partions à Jérusalem à la dernière minute. Plusieurs destinations avaient été évoquées, dont le Japon. En partant, je ne connaissais rien du conflit israélo-palestinien ; je n’en ai entrevu les subtilités qu’une fois sur place. Ce conflit a une résonance particulière : nous en faisons partie en tant qu’Occidentaux, il trouve donc logiquement un écho en moi.

 

P. : Votre avatar dessiné joue le rôle du candide. Y a-t-il des différences fondamentales entre le Guy Delisle narrateur et vous-même ?

G. D. : Pour ce qui est des situations, je ne me permets pas d’autofiction, trop délicate dans les contextes dans lesquels je me trouve. Je tiens à garder la véracité des faits et à les retranscrire de la manière la plus fidèle possible. Le quotidien, déjà très riche, est pour moi une aventure extrêmement exotique : je ne vois pas la nécessité d’en rajouter ! Je joue par contre sur le côté naïf. Ce n’est qu’une des facettes de ma personnalité, mais elle est mise en exergue avec ce personnage. Il est souvent dépassé par les événements et réagit soit de manière stoïque, soit avec la plus grande stupeur. Je trouve que cela me représente plutôt bien. Pour le reste, je n’ai pas le temps dans le récit (ni forcément l’envie) de développer plus les traits de ma personnalité. Vouloir en dire trop, c’est aussi perdre en cohérence. Pour ma femme, qui apparaît régulièrement, c’est la même chose. J’ai accentué son côté sérieux, alors qu’elle n’est (heureusement) pas que ça !

 

P. : Que nous réservez-vous prochainement ? Prévoyez-vous de réaliser d’autres carnets de route ou bien de vous replonger dans la fiction ?

G. D. : Ma situation personnelle va changer, nous ne ferons plus autant de voyages, en tout cas pas aussi longs. Les enfants ont besoin de stabilité, ce qui nous amène à rester à Montpellier où nous vivons. Chroniques de Jérusalem est probablement mon dernier carnet de voyage sous cette forme. En tout cas, le dernier avant un bon moment. Peut-être repartirons-nous quand nous serons à la retraite, vers 60 ans ! Sans compter que ce genre de livre est un gros investissement. Chroniques de Jérusalem m’a pris trois années de ma vie : un an de séjour et deux ans de réalisation. Mais j’ai encore beaucoup de projets dans mes tiroirs. Un, par exemple, qui n’est pas de l’ordre de la fiction : l’histoire d’un prisonnier en Tchétchénie qui a réussi à s’évader en se cachant de village en village. C’est une aventure passionnante. Parler enfin de quelqu’un d’autre me tente bien !

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