Essais

Vincent Capdepuy

50 histoires de mondialisation

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Chronique de Jérémie Banel

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Comment mettre en scène des faits passés connus, les éclairer sous un jour nouveau ? C’est à cette question que tentent de répondre, de façon très différente mais tout aussi stimulante, les auteurs de L’Autre Siècle et de 50 histoires de mondialisations.

Le pari est risqué mais il a été relevé haut la main : dans un genre (l’uchronie) où les réussites sont bien moins courantes que les échecs, le livre dirigé par Xavier Delacroix est une véritable réussite. Entouré d’un côté d’une équipe d’historiens chevronnés de la Première Guerre mondiale, tel Stéphane Audoin-Rouzeau, ou encore familiers des formes hypothétiques en Histoire comme Pierre Singaravélou et Quentin Deluermoz, et de l’autre de romanciers et romancières (dont Pierre Lemaitre) assez joueurs pour se glisser dans les scénarios des premiers, il donne à lire une Histoire du début d’un XXe siècle qui aurait vu la victoire de l’Allemagne et de ses alliés lors de la Bataille de la Marne. Le lecteur va ainsi de surprises en surprises et découvre avec délectation un monde à l’inquiétante étrangeté, pas si éloigné du nôtre, mais tellement différent ! Pas de Révolution russe, pas de République de Weimar et encore moins d’Hitler (du moins pas en tant que Führer), un traumatisme de guerre bien plus présent en France qu’en Allemagne et ainsi de suite. Autant de renversements ou de modifications qui interrogent sur les contingences de l’Histoire et cassent le sentiment de logique des évènements a posteriori. Et en considérant comment tout ça aurait bien pu se dérouler différemment, c’est le passé tel qu’on le connaît qui prend une tout autre dimension. On retrouve également les jeux avec le temps (mais aussi l’espace) au cœur du livre hybride et vertigineux de Vincent Capdepuy. Pour rompre là aussi la linéarité du temps et s’éloigner d’une vision téléologique de l’Histoire, il a créé un livre aux multiples sens de lecture : à celle de la première à la dernière page peuvent se substituer des lectures thématiques, ou encore à rebours. Un système de renvoi d’un chapitre à l’autre permet une grande lisibilité du projet, si surprenant soit-il. Un projet oulipien, descendant caché de Marelle de Cortázar (« L’Imaginaire », Gallimard), et irréprochable quant à son contenu : cette disposition kaléidoscopique rend à merveille la diffusion de Sapiens à travers le globe, et la grande variété de moments et de façons de partir à la découverte de celui-ci. Réussite intellectuelle autant que formelle, 50 histoires de mondialisations est un livre à nul autre pareil, brossant avec inventivité la grande aventure humaine, et la somme d’échanges et de connexions qui en sont tout à la fois la cause, la conséquence et le but.

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