Les écrivains voyageurs
Fanny Chiarello aux Etats-Unis...
A happy woman (L'Olivier, 2019) est le récit d'un mois passé à New York auprès de Meredith Monk, compositrice, chorégraphe et cinéaste américaine née en 1942, qui a participé à l'effervescence des années 1960-1970 à New York, du côté de l'avant-garde. Comme Philip Glass, Steve Reich ou La Monte Young, pour ne citer que les plus célèbres. Mais un peu à part°: sa musique est inclassable. Quand je l'ai découverte, elle correspondait totalement à mes aspirations du moment et j'ai voulu connaître la vision artistique de Meredith Monk. Il ne s'agit pas d'une biographie, ni d'un essai, mais d'un portrait au sens pictural du terme : mon portrait de Meredith Monk en 2017.
« Je ne veux pas m'abriter derrière des références, des autorités. Je veux aller à la rencontre des lieux et des gens, être en mouvement, prendre en compte ce qui se présente à moi et improviser. »
La musique a toujours eu beaucoup de place dans mes textes et dans mon processus de création. La légende est une autre dimension à laquelle je me suis souvent intéressée. Cette fois, je voulais me confronter à une vraie légende, dans le monde réel : celle de Meredith Monk, bien sûr, mais aussi celle de New York, où je n'avais encore jamais mis les pieds et où j'ai atterri seule pour un mois.
Telle est ma démarche du moment : je ne veux plus rester assise à mon bureau. Je ne veux pas m'abriter derrière des références, des autorités. Je veux aller à la rencontre des lieux et des gens, être en mouvement, prendre en compte ce qui se présente à moi et improviser. Quand je suis arrivée à New York, je ne savais pas dans quelle mesure Meredith Monk se rendrait disponible pour moi, d'ailleurs elle non plus ne le savait pas. Tout dépendrait de paramètres humains. J'allais devoir m'adapter à ce que je découvrirais à mesure et si possible influer sur le déroulement de mon séjour. À New York, j'étais un auteur dont aucun livre n'a été traduit en anglais, catapultée dans la cuisine d'une légende de la musique contemporaine, et toutes deux, la légende et moi, nous faisions la vaisselle en discutant musique, famille et végétarisme. J'essayais d'englober dans un même regard la femme toute petite qui a mal au dos et ne digère pas le tofu, la compositrice dont la musique est une planète à part entière, et le personnage public qui pose avec Obama sur des photos et reçoit, sous mes applaudissements, un prix doté de 250°000 dollars pour l'ensemble de son œuvre à la Brooklyn Academy of Music.
Car Meredith Monk m'a généreusement accueillie, m'a laissée l'accompagner dans divers aspects de sa vie quotidienne et dans les grands événements. J'ai tissé avec elle et avec les membres de son Ensemble Vocal des liens affectifs. Il est aussi beaucoup question, dans mes pages, des artistes incroyables qui gravitent autour de Meredith depuis des décennies, parfois au sacrifice de leur propre travail. J'ai parlé de ce sacrifice avec Meredith, et de bien d'autres choses assez délicates telles que le deuil, la religion ou l'âge. Nous n'étions pas toujours d'accord mais il y avait de la place pour deux points de vue puisque je n'étais pas dans une posture de journaliste ou de biographe.
© Claire Fasulo