Essais
Aux racines de la violence
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Carolin Emcke
Contre la haine
Traduit de l'allemand par Elisabeth Fussler
Seuil
28/09/2017
256 pages, 17 €
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Dossier de
Christine Lechapt
Librairie Maison du livre (Rodez) -
❤ Lu et conseillé par
1 libraire(s)
- Anaïs Ballin de Les mots et les choses (Boulogne-Billancourt)
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Maurizio Bettini
Contre les racines
Traduit de l’italien par Pierre Vesperini
Flammarion
06/09/2017
180 pages, 8 €
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Dossier de
Christine Lechapt
Librairie Maison du livre (Rodez) -
❤ Lu et conseillé par
2 libraire(s)
- Amel Zaïdi
- Lucile Montezin de Nouvelle (Asnières-sur-Seine)
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Hélène L’Heuillet
Tu haïras ton prochain comme toi-même
Albin Michel
30/08/2017
141 pages, 13 €
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Dossier de
Christine Lechapt
Librairie Maison du livre (Rodez)
✒ Christine Lechapt
(Librairie Maison du livre Rodez)
En ces temps obscurs où la haine de l’autre semble avoir envahi l’espace public, trois auteurs, un philologue, une reporter de guerre et une psychanalyste apportent un éclairage singulier sur les raisons de ce phénomène dévastateur et laissent entrevoir les clefs pour la combattre. C’est revigorant.
Alors que l’on assiste à un inquiétant retour de la tradition, Maurizio Bettini s’interroge sur le recours régulier à nos racines. Le philologue italien puise dans ses connaissances de l’Histoire et de l’usage des mots pour démontrer que ce terme n’est pas utilisé à bon escient. Plutôt qu’à la métaphore de l’arbre communément évoquée, il préfère la référence à celle du fleuve et de ses multiples affluents pour décrire nos sociétés qui ont su s’enrichir de différentes influences culturelles pour se développer. Il n’y a qu’à observer nos langues, nos traditions et notre gastronomie pour comprendre que notre culture est le résultat de nombreux apports extérieurs. Lors de sa démonstration, l’auteur interroge ses propres sentiments face aux changements intervenus dans sa ville natale de Livourne, où les petits marchands et les pêcheurs ont été remplacés par des kebabs et nous explique qu’il ne faut y voir là que de la simple nostalgie. Loin des démonstrations savantes auxquelles on pourrait s’attendre de la part d’un universitaire, ce livre d’intervention est d’une efficacité redoutable. Dans un style simple et illustré d’exemples concrets, cet essai s’adresse à un large public et donne de multiples et efficaces arguments pour contrer le discours traditionaliste actuel. Carolin Emcke analyse, quant à elle, les contextes qui mènent à la haine sociale, raciale et sexiste. Elle démontre tout d’abord que nos démocraties contemporaines souffrent à l’heure actuelle d’un désir d’homogénéité des identités et d’une volonté de retour à une certaine pureté. Face à l’autre, le différent, l’étranger, on voit apparaître un phénomène d’« invisibilisation » qui pousse au déferlement de la haine. Pour en comprendre le ressort, l’auteure convoque deux faits divers particulièrement éloquents : la réaction de la foule face à l’arrivée de réfugiés dans un centre d’hébergement à Clausnitz en Allemagne et le meurtre d’Eric Garner, un homme noir de 44 ans, par un policier à New York. Elle développe ainsi l’idée que les discours ou les réactions haineuses interviennent lorsqu’il n’est plus possible de voir dans l’autre, celui qui est en face de soi, un être humain : il est devenu invisible. La grande originalité de l’analyse de Carolin Emcke est sans aucun doute, d’avoir su mobiliser son expérience journalistique avec des connaissances philosophiques acquises auprès de Jürgen Habermas. Dans un style militant mais sans pour autant être agressif, Contre la haine est un formidable plaidoyer pour une société ouverte vers l’autre, quel qu’il soit. Un essai d’une grande clairvoyance et particulièrement percutant. La haine est en chacun de nous. Elle est même une expérience psychique première, nécessaire. Elle nous permet d’évoluer, de grandir et de nous séparer à chaque étape de notre vie. Nous nous construisons face à l’autre, donc grâce à l’hostilité. Elle est tout aussi indispensable que l’amour. Freud, dans Malaise dans la culture, s’irrite d’ailleurs de l’injonction « tu aimeras ton prochain comme toi-même », car la haine est clairement sous-jacente. Mais là, elle est encore refoulée. Or, le temps n’est plus au refoulement et partout, aujourd’hui, nous assistons à l’expression de la haine et cela n’est pas sans conséquences pour la vie en société. Hélène L’Heuillet estime qu’au delà de ce qui les sépare, les mouvements populiste et jihadiste sont des effets de ce nouveau rapport à la haine et que la raison principale pour laquelle ils recrutent dans la jeunesse, c’est parce qu’ils expriment un « non » radical à tout ce qui existe et qu’ils répondent tous les deux à une nouvelle économie pulsionnelle. Comment en est-on arrivé à telle situation ? Pourquoi la jeunesse en vient-elle à se suicider pour exprimer sa haine ? La cause est à rechercher dans le langage. Si l’amour se laisse symboliser et donne envie de s’exprimer, la violence elle, en revanche, ruine tout langage. Or seul le langage peut contenir l’excitation pulsionnelle. Sans le langage, la haine détruit tout. Face à ce malaise dans la culture, il apparaît impératif que face au « non » radical exprimé par certains mouvements populistes et jihadistes, nous parvenions à faire émerger du « oui », la tâche sans nul doute, la plus difficile à accomplir pour une culture. Loin des sentiers battus, l’analyse d’Hélène L’Heuillet apporte un éclairage d’une infinie richesse pour comprendre la violence qui ravage nos sociétés. Une réflexion essentielle pour retrouver enfin, les chemins du langage.