Littérature française
La réinvention heureuse
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Vincent Borel
Fraternels
Sabine Wespieser éditeur
25/08/2016
560 pages, 26 €
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Dossier de
Coline Hugel
- ❤ Lu et conseillé par 14 libraire(s)
✒ Coline Hugel
Fraternels démarre en fanfare, continue tambour battant, passe par une rave party, un air tzigane et s’achève en apothéose, genre « chevauchée des Walkyries ». C’est un hymne à un avenir heureux, un futur où l’espoir est finalement permis, où les choses vont changer pour aller mieux. Un anti-Soumission*…
On pourrait dire de Fraternels, le nouveau roman de Vincent Borel, qu’il est l’anti-Soumission de Michel Houellebecq. Tout commence avec un joyeux hurluberlu qui s’amuse à uriner sur la Flamme éternelle de la Résistance… Pas de chance pour la France, il se filme et partage la vidéo avec le monde entier grâce à la nouvelle technologie de son Ifon 11. Pas de chance pour l’entreprise qui commercialise les Ifon, l’énergumène fait partie de la famille du PDG. Et c’est le début de la fin… ou du début ? De Paris à Sarajevo, en passant par la Sibérie, le Pérou et l’Afghanistan, une bande de joyeux drilles nous entraîne dans une histoire picaresque menée avec énormément d’humour et d’intelligence, qui ne cesse de rebondir sans se perdre et qui met le doigt sur les dangers guettant notre société hyper-consumériste et sur-technologisée. Alors n’hésitez pas, plongez dans cette trépidante apocalypse engagée et optimiste. Et réfléchissez à votre avenir.
À la rencontre des auteurs - Vincent Borel / Fraternels
Vincent Borel, on vous connaît dans un registre plutôt classique, ou plus « histoire familiale », avec le très remarqué Antoine et Isabelle (Points, prix Page des libraires 2010). Aujourd’hui arrive Fraternels, un livre extrêmement étonnant puisque l’on est projeté dans un futur proche. Pourquoi ce choix, pourquoi ce futur ?
Vincent Borel — En fait j’avais envie de réussir un essai, un roman s’occupant d’aujourd’hui. Fraternels, c’est aujourd’hui regardé avec un léger décalage : on est un peu demain mais on est beaucoup aujourd’hui. Parce que les smartphones existent, parce que la concentration des multinationales autour de l’énergie existe, parce que la montée des intégrismes et des totalitarismes existe aussi. Mais je n’avais pas envie de le traiter de façon dramatique, apocalyptique, désespérée ou pessimiste, j’ai pris le parti d’en rire.
On rit en effet beaucoup dans ce livre au ton enlevé, picaresque. On peut peut-être raconter de quoi il s’agit…
V. B. — L’histoire part d’un fait divers que j’ai lu dans Le Parisien, un événement qui a eu lieu au Mont-Valérien il y a cinq ou six ans. On était à l’époque, en France, dans un contexte de grande agitation autour des symboles de la République. Des policiers arrêtent un individu urinant sur la Flamme éternelle de la Résistance. Ce fait divers, je l’ai mis dans ma poche et je me suis dit que j’en ferais peut-être quelque chose. À partir de ça, j’ai inventé une histoire qui puisse faire s’écrouler le château de cartes de notre société contemporaine. Il y a un autre fait divers qui m’a beaucoup amusé, c’est le désir qu’a eu Evo Morales [président de la Bolivie] d’inverser le temps. Il a imposé que les horloges de l’hémisphère sud tournent à l’envers. Partant de là, recourant à une manière proche de celle d’un GarcÍa Márquez ou d’un Carpentier, j’ai imaginé une planète qui cherche à se retrouver en remontant le temps et en revenant sur les erreurs qu’elle a commises. Il en a découlé une série d’histoires conduite par une mécanique salvatrice et amusante, où les phobies et les terreurs de notre société sont tournées en dérision, afin d’emporter le lecteur dans une croisière un peu délirante mêlant l’esprit de Rabelais et le côté sanglant de Tarantino.
Finalement c’est un roman post-apocalyptique ?
V. B. — Oui, mais une apocalypse sans mort. Ou presque. En fournissant à nos tablettes ou nos smartphones énormément d’informations personnelles, en accordant une folle confiance aux réseaux sociaux, on devient de plus en plus vulnérable car notre sens de l’orientation disparaît, notre mémoire disparaît et notre capacité à communiquer s’évanouit puisqu’on préfère parler avec des inconnus sur Facebook plutôt que dialoguer avec son voisin. J’ai conçu mon roman autour de cette hypothèse : et si, un jour, il n’y a plus d’électricité, si survient la panne générale… Comment fait-on ? Comment ce monde, le nôtre, s’écroulera-t-il ? Deux possibilités s’offrent pour construire un scénario. La façon « américaine » – fin du monde, pandémies, catastrophes, tsunamis, inondations, etc. L’autre solution, c’est de se dire que, peut-être, le temps ne va pas s’inverser mais se calmer, et que l’on va pouvoir se retrouver en se sevrant brusquement des machines. Mais je n’avais pas du tout envie de rentrer dans un processus rétrograde, nostalgique et un peu nauséabond. Le parti pris consistait donc à en rire. La solution n’est pas loin, elle est dans la nature, dans la permaculture, le circuit court pour la consommation, les produits biologiques, etc. Si plus rien ne fonctionne, sommes-nous condamnés à ne plus exister ? Ou possède-t-on les ressources nécessaires pour se réinventer ? J’ai pris le parti de la réinvention heureuse, c’est pour ça que je dis que c’est une apocalypse joyeuse. Ce n’est pas une apocalypse anxiogène, c’est plutôt un livre anxiolytique.
Quand on parle d’apocalypse on pense aussi à l’idée de la religion. La religion a une part importante dans ce livre, vous insistez beaucoup sur l’idée d’islam modéré, proche du soufisme…
V. B. — C’est périlleux aujourd’hui parce qu’évidemment ce n’est pas du tout dans l’air du temps. Nous sommes dans le choc des civilisations idéologiquement imposé depuis 2001. Nous évoluons dans un phénomène de détestation mutuelle qui ressemble à un grand mensonge, puisque l’un alimente l’autre avec une perverse gourmandise. Pourtant, de vastes territoires de l’islam sont totalement occultés, notamment le soufisme, né à Bagdad à l’époque d’Haroun al-Rachid. J’ai beaucoup lu ces poètes formidables. Abou Nawas, par exemple, cette espèce de Rimbaud extraordinaire qui pratique la bisexualité, boit du vin à longueur de temps, et qui, en même temps, est dans un mysticisme joyeux. Ce soufisme est une très jolie façon d’assumer sa foi. Donc plutôt que d’être dans une soumission à cet islam qui désire revenir à un Moyen Âge fantasmé, pourquoi ne pas affirmer un autre type de religion ? J’ai écrit Fraternels en pleine période des attentats. Et le regard que je porte sur la religion musulmane, je crois que cela peut s’apparenter à de la résilience par rapport à cette peur entretenue par les médias et de plus en plus d’hommes politiques.