« Voilà une invention que l’on pourrait envier à la France, ces doux recueils à la souple couverture de cuir si soigneusement édités, avec des introductions, des appendices, commentés par des savants (…). La Pléiade est bien plus qu’une collection, c’est une affaire d’état. L’entrée d’un tel ou un tel sous la protection du rhodoïd et du cuir de couleur déchaîne les passions. » À cet extrait de Boussole (Actes Sud), de Mathias Énard, prix Goncourt 2015, qui rend formidablement hommage à cette collection de renom, il faudrait ajouter les détails non négligeables de la fabrication artisanale française et du marquage de chacun des volumes à l’or 23 carats; autant de particularités qui en font une exception française de prestige. La Bibliothèque de la Pléiade est effectivement la seule collection éditoriale dans laquelle on « entre ». Ce panthéon des Lettres universelles offre la promesse d’une place de choix pour les auteurs qui ont su dépasser leur temps et dont les œuvres s’inscrivent dans une pérennité certaine. C’est sans conteste le cas du philosophe Michel Foucault, qui a profondément marqué son époque et dont les écrits – et également les dits – ne cessent de retentir chez nos auteurs contemporains, toutes disciplines confondues. Le lecteur trouvera dans l’appareil critique tout ce qui constitue la singularité de l’édition. D’abord une introduction écrite par Frédéric Gros, qui expose et problématise les aspects fondamentaux et les plus emblématiques de l’œuvre de Foucault, tels que le concept de vérité, le travail des archives, l’interdisciplinarité novatrice, ou encore la désacralisation des philosophes classiques. Ensuite, une chronologie minutieuse (de 1926 à 1967 pour le premier volume, et de 1968 à 1984 pour le deuxième) dressée par Daniel Defert accompagne et contextualise la production de l’auteur, dont l’existence fut scandée par les tourments de l’alcool, de l’homosexualité difficilement vécue et la tentation du suicide. Enfin, à l’issue de chacun des volumes, de riches notices analysent respectivement le contenu de chacune des œuvres présentes, apportent des éléments d’archives, et font état de la réception du texte en question. D’autre part, une sélection d’articles, préfaces et conférences, qui apparaissaient dans la première édition des Dits et écrits (Gallimard), sont tirés de l’oubli et mis en lumière. Ainsi, cette édition offre au lecteur un guide précieux pour décrypter, apprécier et mesurer l’ampleur de la pensée foucaldienne, « qui refuse toute spécialisation en s’appuyant pourtant sur une érudition ahurissante », écrit Frédéric Gros. Lors d’une conférence de 1969 à la Société française de philosophie, le penseur, qui se demandait « Qu’est-ce qu’un auteur ? » et imaginait alors « une culture où les discours circuleraient et seraient reçus sans que la fonction auteur apparaisse jamais », rayonne aujourd’hui de toute sa subjectivité, portant la marque indélébile d’un nom : Michel Foucault.