Essais

Égypte d’hier & d’aujourd’hui

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BM

✒ Bertrand Morizur

(Librairie L'Arbre du Voyageur Paris)

L’historien Julien Loiseau se penche sur le règne original des Mamelouks en Égypte et en Syrie entre les XIIIe et XVIe siècles. Le romancier égyptien Alaa El Aswany publie ses articles mordants contre les dérives de la société. Deux approches instructives pour mieux comprendre le Proche-Orient.

Il existe une abondante littérature sur l’histoire des Mamelouks, mais Julien Loiseau, dans le sillage de Patrick Boucheron, l’aborde ici dans une perspective historique qui évite les clichés et fournit des clefs au lecteur pour mieux comprendre le cadre politique et culturel dans lequel s’est épanoui le régime des Mamelouks au xiiie siècle en Égypte et en Syrie. Il nous fait découvrir des destins individuels qui ont façonné l’histoire du Proche-Orient, en insistant sur la richesse de la double appartenance culturelle de ces hommes et ces femmes promus pour leurs qualités spécifiques. Il s’agit avant tout d’une expérience politique originale que souhaite distinguer l’auteur de cette somme extrêmement documentée : en élevant l’allochtonie en principe de distinction et en source de privilèges, l’islam du xiiie siècle se présente sous un jour d’une étonnante modernité. En effet, les Mamelouks étaient avant toute chose des « esclaves soldats ». Originaires de Turquie ou des montagnes du Caucase, ils furent réduits en esclavage, adoptant une nouvelle patrie, une nouvelle identité, une nouvelle fonction sociale. C’est notamment le processus de cette assimilation, fondée sur un lien de solidarité et de dépendance très fort entre maître et esclave, que dépeint l’historien. Il raconte également les étapes de l’affranchissement et du règne des Mamelouks de 1250 à 1517, entre la victoire contre les Mongols et la défaite face aux Ottomans. Cette période de l’histoire de l’islam souvent revisitée, évoquée dans la mémoire collective comme une succession d’émirs illégitimes et incompétents (car d’origine étrangère…), se devait d’être écrite selon les critères de l’historiographie contemporaine. Sans pour autant en dresser l’éloge, Julien Loiseau propose une vision moins partiale et plus à même de faire connaître le statut d’affranchis des Mamelouks, leur culture particulière, leur inscription dans l’histoire du Proche-Orient et, au-delà, de l’islam. C’est une tout autre Égypte que raconte Alaa El Aswany dans Extrémisme religieux et dictature, puisqu’il s’agit d’un recueil de ses articles publiés dans la presse nationale entre 2009 et 2013. Ce que l’on a appelé le Printemps arabe, qui provoqua la chute de Hosni Moubarak, débuta en 2011. Nous avons vu le grand romancier, célèbre pour sa peinture sans concessions de la société égyptienne, s’exprimer parmi les manifestants de la place Tahrir. Il dénonce ici les injustices, l’hypocrisie, la corruption, mais aussi et surtout la montée d’un extrémisme religieux dû à la pauvreté économique et intellectuelle, et s’exprimant à travers les discours et les apparences. Brossant des portraits d’individus courageux, bravant l’intolérance, il utilise l’anecdote pour témoigner et dénoncer. La plupart de ses articles se terminent par ces mots : « La démocratie est la solution ». C’est une leçon d’indépendance intellectuelle et de civisme, aussi utile dans l’Égypte contemporaine chaotique que sous nos latitudes.