Littérature étrangère
Etgar Keret Au nom du père et du fils
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Etgar Keret
Sept années de bonheur
Traduit de l’anglais (Israël) par Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet
L'Olivier
02/05/2014
208 pages, 18 €
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Dossier de
Clémence Mary
Média France Culture (Paris Cedex 16) - ❤ Lu et conseillé par 14 libraire(s)
✒ Clémence Mary
(Média France Culture Paris Cedex 16)
Treize ans après la publication de son premier récit, l’auteur israélien protéiforme – il est écrivain, cinéaste et scénariste – aurait-il passé un cap ? Pour ces chroniques autobiographiques, il quitte son genre de prédilection, la nouvelle, et préfère un je qui résonne comme un nous. Entre journal intime, billet d’humeur, enquête sociologique et autoportrait, ce livre malicieux adopte un ton doux-amer auquel Keret ne nous avait pas habitués. Le rabot du narrateur semble d’abord tout situer sur le même plan : détails du quotidien prosaïque et intime, guerres, attentats, paternité, condition d’écrivain. Mais derrière cette fausse légèreté et ce régime anecdotique plein d’humour, tout est prétexte à réflexion. Keret est devenu père : l’homme et l’auteur s’en trouvent changés. La question de la transmission le préoccupe. Entre la naissance de son fils et la mort de son père, Keret se dessine en perspective et en miroir : citoyen, écrivain, époux et, surtout, père et fils. À travers ces trois générations, quelque chose se dit de l’évolution de la nation israélienne. Celle-ci ne se définit pas par l’identité juive, selon Keret qui déclarait le 6 mai à la Grande Table : « Je ne comprends pas l’idée d’un État juif ». Si Salman Rushdie affirme que Keret est l’une des « voix de sa génération », c’est peut-être plutôt parce qu’il en exprime la psyché complexe, tournée vers une mémoire pesante et un futur incertain, prise dans un présent fragile et violent où l’on élève ses enfants « dans l’ombre de la mort ». Mais Keret incarne aussi l’évolution de cette société qui avance et se libère de la nécessité d’un engagement politique pragmatique et univoque. « Il y a une différence entre une écriture politique qui tente de faire progresser une idée, et le désir artistique de créer une réalité complexe. Ce livre ne tente pas de dire ce qu’il faudrait faire. Il rend simplement compte des peurs, des haines, de tout ce qui obscurcit notre vision de la réalité et nous empêche de l’améliorer », confiait l’auteur à la Grande Table, montrant que fantasme et réalité se répercutent dans cette société schizophrénique. Ainsi, le récit n’hésite pas à plonger dans l’intimité du foyer et de la nuit quand il s’agit de montrer que les angoisses de la société sont inévitables… puisqu’elles s’infiltrent même dans les rêves. Au croisement de la fresque impressionniste et du puzzle, l’écrivain comme le lecteur ont à trouver la bonne distance, quitte parfois à bâtir des écrans pour ensuite mieux les traverser. D’où le recours à l’anglais plutôt qu’à l’hébreu, sa langue maternelle ? À l’image des nombreux voyages que Keret relate, l’écriture dérive, tourne sur elle-même, mais revient sans cesse à un foyer dont le narrateur a besoin de s’extraire pour mieux en parler. L’écrivain n’est pas démiurge ni prophète, il est un révélateur et un travailleur. « Ainsi va le monde. L’écrivain n’est pas là pour le créer mais pour dire ce qui doit être dit. » Telle est la leçon d’humilité à laquelle nous convie Etgar Keret dans ce livre à déguster à petites gorgées.