Littérature étrangère

Océanie, terre de feu et de sang

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✒ Sandrine Maliver-Perrin

Une terrible infection me cloue au lit, mon séjour à Rome est annulé : noir, c’est noir ! En attendant des jours meilleurs, je débranche le téléphone et m’enterre sous ma couette avec une pile de romans historiques. Embarquement immédiat pour un voyage dans le passé à l’autre bout du monde : l’Océanie m’attend.

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle et que tout paraît désespéré, à chacun son remède : certains hurlent leur chagrin sur la musique des Rolling Stones, d’autres mangent du chocolat en regardant de vieux films. Moi, je lis des romans d’aventures historiques. Dans ces moments-là, j’ai besoin d’évasion, de rêve, d’émotions. La seule idée de lire un roman contemporain me hérisse. À bas le quotidien et tout ce qui s’y rapporte ! Mais pas question pour autant de lire n’importe quoi. Il me faut du beau et du bon. Et puisque je suis condamnée à être une voyageuse immobile, autant partir très loin. En France, les écrivains océaniens contemporains restent aussi méconnus que le passé de leurs lointaines contrées. La parution de ces deux romans, portés par une puissance narrative qui se nourrit de l’histoire tourmentée de leur pays, devrait permettre d’y remédier. Si d’aventure vous décidez d’entrer dans Le Livre des secrets, vous ne pourrez plus en sortir. Avec sa plume somptueuse, la Néo-Zélandaise Fiona Kidman n’a pas son pareil pour donner vie à de grandes héroïnes, comme dans Rescapée, paru en 2006 chez Sabine Wespieser. Elle s’en prend au conformisme et à l’hypocrisie des mœurs dans des romans puissants qui montrent sa fascination pour la culture aborigène et surtout pour l’histoire de la colonisation. Nous sommes ici à Waipu en 1953 : Maria vit depuis plus de cinquante ans dans une maison délabrée, avec pour seule compagnie ses souvenirs et le journal intime de sa grand-mère Isabella. Une grand-mère rejetée, traitée de sorcière par la communauté et par la mère de Maria, dont cette dernière aurait hérité des penchants pervers. Jadis, Maria vécut une folle passion avec un cantonnier et fut mise au ban de la société. Une société régie par des règles morales très strictes, édictées par son énigmatique fondateur, Norman McLeod. Isabella quitta l’Écosse en 1817 pour suivre « L’Homme » avec un groupe de ses disciples. Ce périple dura plus de trente-cinq ans et les mena en Nouvelle-Écosse et dans l’île de Capbreton, puis sur les côtes d’Amérique du Nord, pour s’achever au nord de la Nouvelle-Zélande. Le journal d’Isabella révèlera le vrai visage du cruel McLeod, sorte de gourou moderne, et la personnalité d’une femme indépendante et courageuse qui s’efforça de rester libre envers et contre tous. Sarah Thornhill, héroïne du roman de Kate Grenville, est de la même trempe qu’Isabella et Maria. L’Australienne a acquis la notoriété avec Le Fleuve secret (Métailié), grande fresque relatant l’installation des colons blancs en Australie et leurs rapports conflictuels avec les Aborigènes. Nous y rencontrions William Thornhill, un « convict » britannique déporté en Australie avec sa famille. Sarah est la fille cadette de William. Elle mène une vie heureuse auprès de ce père aimant. Devenue femme, elle tombe amoureuse de Jack, un jeune métis maori qui lui rend son amour. Rien ne semble pouvoir ternir leur bonheur. Mais un soir, Jack disparaît après une conversation avec la belle-mère de Sarah, pour ne plus jamais revenir. Pourquoi cette fuite et quel terrible secret dissimule-t-elle ? Sarah devra chercher les réponses dans le passé de son père et au-delà des mers, où son frère a trouvé la mort. Il y a laissé une fillette à demi maorie, que William, rongé par la culpabilité, est bien décidé à considérer comme un membre de la famille, au grand dam de son épouse. Mensonges, secrets, trahisons, amours impossibles, tous les ingrédients sont réunis pour vous séduire. Et si votre cœur balance, n’ayez crainte, ils ont beaucoup en commun : des portraits de femmes exceptionnelles, des personnages parfaitement incarnés et un grand souffle épique. Tout en déployant une intrigue passionnante, les deux auteures recréent à la perfection le décor, le contexte et les us des époques où se situe l’action. La confrontation des cultures blanche et aborigène, et la violence du colonialisme y sont dépeints par une écriture précise, sans complaisance ni jugement. Et c’est toute la construction de leur pays qui défile sous nos yeux, avec ses vérités et ses tragédies. Cette société stratifiée qui nous est montrée avec, de bas en haut, les indigènes locaux, les convicts et anciens convicts, et les hommes et femmes libres partis d’Europe en espérant trouver une vie meilleure. On réalise combien il fallait de courage aux immigrants qui débarquaient dans ces contrées lointaines, de gré ou de force, et combien leur vie devait être rude. Mais on prend aussi conscience de la tragédie que ce fut pour la population locale, massacrée, méprisée, spoliée de ses terres et de son identité au nom de l’argent, la religion, le respect des convenances… On ne peut refaire l’histoire mais on peut essayer de la comprendre et de la transmettre à travers la fiction : elle en dit parfois autant qu’un manuel, et avec bien plus de force. C’est cela le pouvoir de la littérature. Alors, n’attendez pas d’être malade ou déprimé pour courir chez votre libraire.