Essais

La liberté falsifiée

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  • Sophie Wahnich
    L’Intelligence politique de la révolution française
    Textuel
    20/02/2013
    192 pages, 16 €
  • Dossier de Raphaël Rouillé
    Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès (Saint-Christol-lez-Alès)
  • Michel Surya
    De la domination 5, Les singes de leur idéal
    Lignes
    16/01/2013
    68 pages, 13 €
  • Dossier de Raphaël Rouillé
    Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès (Saint-Christol-lez-Alès)
RR

✒ Raphaël Rouillé

(Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès Saint-Christol-lez-Alès)

Sous des désirs de justice, d’égalité et de liberté, nos sociétés démocratiques ne dissimulent-elles pas un appétit de domination, de contrôle et d’enfermement ? Ne profitent-elles pas, en somme, d’un assoupissement de la responsabilité civique comme d’un manque de débat réflexif ? Que signifie, alors, l’expression « être libre » et le sommes-nous réellement ?

Même dans une société dite « démocratique », la liberté n’est pas une donnée acquise, elle semble au contraire devoir être sans cesse réaffirmée, peut-être réinventée, toujours à reconquérir. C’est le constat de plusieurs ouvrages qui posent la question de notre manque de courage de penser et d’agir face au présent. Bercé par l’illusion des libertés individuelles, l’homme contemporain n’a-t-il pas abdiqué face à de nouvelles servitudes et aux effets de séduction que la société projette sur lui, comme un idéal pourtant bien factice ?
Dans son livre intitulé L’Intelligence politique de la Révolution française, Sophie Wahnich explique que la Révolution française « peut nous aider à retrouver l’imaginaire politique dont nous avons besoin ». Cette « foi en l’impossible qui semble aujourd’hui si rare », ajoute-t-elle, a répondu à des exigences d’égalité et de liberté. Durant la période révolutionnaire, « la conscience de la liberté à fonder fait désormais de chaque citoyen un veilleur qui en toute vigilance a le devoir de se tenir informé et de prévenir ses concitoyens en cas de remise en question des principes fondateurs ». Cette intensification extraordinaire des pratiques de l’espace public que l’auteur déroule et commente au travers de larges passages, met en lumière les différents aspects liés à l’égalité et la liberté dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Sous la plume d’Olympe de Gouges, qui reprend les termes de la Déclaration des droits de l’homme pour rédiger ceux de la femme, ou à travers la verve du Manifeste des enragés, déclarant notamment que « la liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer d’autres impunément », nous distinguons l’engagement politique à l’œuvre dans le débat public de l’époque. Aujourd’hui, plusieurs chercheurs se demandent si la démocratie représentative est en crise. C’est toute la réflexion que propose le dernier numéro de la revue Histoire & Liberté. Mêlant un questionnement sur l’histoire de la démocratie autant que sur son présent, les articles d’Emmanuel Le Roy Ladurie, André Sénik, Alexandre Adler ou Blandine Kriegel s’efforcent de dresser un panorama de cette démocratie représentative sous ses divers aspects. Pour Philippe Raynaud, la démocratie représentative est un oxymore et pourtant nous vivons sous ce régime, sous cette contradiction. Tandis que certains dénoncent la « perte de sens » du mot « démocratie », d’autres insistent sur la « conscience délabrée envers les institutions politiques », signe d’un renoncement aux grands débats pourtant nécessités par les bouleversements en cours. Ce retrait des citoyens de la vie politique, Michel Surya le comprend et l’explique sans complaisance dans Les Singes de leur idéal. À travers quatre-vingt-onze variations portant notamment sur « l’usage récent du mot changement » en écho à la dernière campagne présidentielle, il fustige la politique elle-même, sous toutes ses formes contemporaines, elle qui ne fait qu’entretenir une illusion de politique alors qu’elle n’est plus que divertissement. « Le changement, c’est maintenant », autrement dit : « Changeons maintenant d’assujettissement », s’insurge Michel Surya. Spectralisée, la politique s’est, selon lui, affranchie de la liberté au bénéfice des marchés dont elle dépend et qui « la tiennent en laisse ». Car l’argent seul, ô combien sujet d’émerveillement, devient la « norme ». Dénonçant un État qui continue de se prévaloir d’un pouvoir qu’il n’a (pour ainsi dire) plus parce qu’il l’a sacrifié à la finance, l’auteur fustige un jeu pervers « qui consiste à donner à l’assujettissement des formes juste assez justes pour être supportées ». Michel Surya voit aussi dans la formule de « l’auto-entrepreneur » la figure parfaite qui parachève le modèle d’exploitation. « Auto-entrepreneur : celui qui s’entreprend lui-même dans l’échange ou le service ; et s’identifie au rapport qu’il établit par leur moyen ». Dans une démarche voisine, Roland Gori dénonce La Fabrique des imposteurs, ces martyrs de la civilisation des mœurs qu’ils imitent. Principale figure de notre temps, l’imposteur a besoin de « faire croire », de trouver un public et des victimes « qui consentent à ce que le faux soit authentifié comme vrai ». Cette posture, favorisée par notre société et son fonctionnement, est une menace pour la démocratie puisqu’elle mime les valeurs sur lesquelles elle repose. Ce « faux-semblant », ces effets de séduction et ces parures semblent se mettre en place au nom de la « norme » ; et la loi n’est plus garantie par l’État qui, lui aussi, préfère le champ « normal », les valeurs « normales ». Même le mot est là pour plaire, insiste Roland Gori, pour appâter le consommateur. Mais « quand on perd le sens des mots, on perd le monde commun, et quand on perd le monde commun, on perd les valeurs protégées et on devient fou » précise-t-il. Tandis que l’humain est devenu pour l’argent le moyen de se produire et que l’argent devient pour ainsi dire une « espèce » à part entière, l’espèce dominante qui ne possède pourtant aucune signification, la liberté s’effrite et le psychanalyste veut croire en la valeur émancipatrice du savoir. Alors que la liberté des anciens procédait d’une « participation active au pouvoir collectif », celle des modernes reste un idéal de liberté individuelle aux jouissances privées. Détaché des valeurs d’engagement et de responsabilité au profit d’un jeu de dupes qui n’est qu’un verni recouvrant la réalité mais au sein duquel il se complait, le citoyen semble déserter le champ de la pensée au bénéfice d’une liberté dangereusement falsifiée.