Littérature étrangère

Najwa Merched-Barakat

Ya Salam !

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photo libraire

Chronique de Patrick De Sinety

Pigiste ()

Dans des styles sensiblement différents, ces deux romans libanais et irakien rendent compte, à la fois, de la vitalité qui anime la littérature moyen-orientale, singulièrement féminine, et d’un contexte politique tourmenté – et même sanguinaire ! – contre lequel les peuples de cette partie du monde sont en guerre depuis un an.

La littérature arabe a mené sa révolution il y a longtemps déjà. Et s’il est toujours difficile pour les écrivains de la région de faire entendre des voix extrêmement variées, dynamiques et parfois franchement subversives dans leur propre pays parce qu’elles s’y trouvent sujettes à des censures d’un autre temps, elles sont malgré tout parvenues à innerver les franges éduquées des sociétés arabes et à inspirer, pour une part au moins, les bouleversements politiques, sociaux et culturels en cours. Il faut nuancer, bien sûr. Le conservatisme et les vieilles pesanteurs n’ont pratiquement rien perdu de leur contrôle ni de leur pouvoir de nuisance. En regard de ces forces, la littérature paraît dérisoire. Sauf peut-être au Liban (qui est parvenu malgré la guerre et ses répliques à maintenir dynamique un secteur éditorial objet de persécutions partout ailleurs dans la zone ; et en Égypte dans une moindre mesure) où sont parus les romans de Najwa M. Barakat et Alia Mamdouh, les livres doivent emprunter des moyens tortueux et secrets pour accéder à leurs lecteurs. Si l’on en croit les débats plus ou moins passionnés suscités par un certain nombre de publications sur le grand forum planétaire qu’est Internet, il faut bien constater que, de l’Arabie saoudite à la Syrie en passant par la Jordanie et l’Irak, la littérature continue d’être perçue par ses ennemis comme par ses fidèles, et pour des raison exactement analogues, comme un danger qui « laisse apercevoir les choses humaines dans leur perspective la pire » – pour citer Bataille. Un danger qu’il s’agit d’affronter pour le plaisir du jeu, le plaisir de surmonter ses peurs et de transgresser l’interdit. Le roman d’Alia Mamdouh est justement saturé de telles thématiques, et proscrit, signale l’éditeur, dans la plupart des pays arabes. La narratrice raconte les sévices, tortures, viols, humiliations de toutes sortes auxquels elle a été soumise par des membres de la police secrète irakienne en raison de sa liaison avec un cadre du parti communiste en fuite, puis arrêté et exécuté dans la foulée du coup d’État d’Abdel-Salam Aref en 1963. Le récit de la jeune femme, Sabiha, qui prend alternativement la forme d’un réquisitoire politique, d’un lamento, d’une confession, est tout entier irrigué par une crudité érotique (celle de la souffrance infligée par ses bourreaux, celle du plaisir qu’elle prend avec des hommes ou des femmes) qui fait évidemment écho aux propos de Bataille, mais qui, pourtant, est maintenue à distance, comme dans un état de flottement et de rêve (ou de cauchemar) par une écriture résolument poétique. Najwa M. Barakat est aussi une femme, libanaise – Alia Mamdouh est irakienne, et il faudrait rappeler ici le rôle d’avant-garde que les romancières jouent dans le renouveau de la littérature arabe – et sa prose, beaucoup plus sèche, farcie d’oralité, presque masculine, met en scène un ancien milicien rendu à son désœuvrement et à sa vacuité par la fin de la guerre civile libanaise, incapable de s’adapter à la banalité du quotidien, incapable d’aimer. Sombres perspectives.