Essais

Philippe Labro

On a tiré sur le président

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photo libraire

Chronique de Sandrine Maliver-Perrin

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« Trois coups. Du feu. La mort ». Le vendredi 22 novembre 1963, 12h30, à Dallas, Texas, trois balles claquent. Deux d’entre elles touchent sa cible à la tête. Embusqué au sixième étage d’un immeuble, Lee Harvey Oswald vient d’assassiner le Président des États-Unis. À 46 ans, John Fitzgerald Kennedy entre dans la légende.

Il avait tout : le charme, la jeunesse, le pouvoir et l’argent. Cinquante ans se sont écoulés depuis l’assassinat de JFK, mais le mystère qui entoure sa mort n’a jamais cessé de fasciner. On a tout écrit sur ce qui fut une des plus grandes tragédies de l’Amérique du xxe siècle et sur la personnalité complexe de celui que l’on appelait « Jack ». On sait aujourd’hui que derrière son légendaire sourire se cachait un séducteur compulsif et un homme usé, drogué aux calmants et aux remontants, luttant quotidiennement contre la souffrance. On sait aussi qu’il entretenait des rapports troubles avec la mafia. Élu 35e président des États-Unis à seulement 43 ans, JFK n’a occupé le bureau ovale que trois ans, mais il reste le président le plus populaire dans le cœur des Américains. Charismatique, dynamique, il formait avec son épouse un couple glamour, hollywoodien, et incarnait le visage idéal d’une nation prospère. L’Histoire retiendra de lui sa vision nouvelle de l’Amérique et son rôle crucial dans la crise des missiles de Cuba. Certes, la droite réactionnaire détestait ses idées progressistes et le déplacement à Dallas, dans un Texas favorable à la ségrégation raciale qu’il combattait, était risqué. C’est en fendant la foule, assis à l’arrière de la Lincoln présidentielle avec son épouse, que JFK est abattu. « On a tiré sur le président » : en ce vendredi noir, l’Amérique, abasourdie, résonne de cet écho. Pour la première fois depuis lors, Philippe Labro se souvient de cette rupture historique. Jeune journaliste en reportage sur la côte Est, il est immédiatement dépêché à Dallas. Le voilà dans les couloirs du quartier général de la police, en plein chaos. Il aperçoit Oswald, l’ex-marine paumé qui abattit JFK. Il rencontre Jack Ruby, le tenancier de boîtes de strip-tease grossier qui assassina Oswald deux jours plus tard. Avec un grand sens du détail, Labro livre le récit passionnant de ses journées à Dallas et des rencontres qu’il a faites, de Will Fritz, le super flic qui dirigea l’enquête, à ceux qui tentèrent, leur vie durant, de démontrer que la théorie officielle était un mensonge. Mais il nous livre surtout, avec justesse et sensibilité, ses impressions, ses convictions, sa propre vision de celui qu’il nomme « mon Kennedy » et de son assassinat, dans le souci de rétablir peut-être quelques vérités oubliées. Si le destin semble s’acharner sur la dynastie Kennedy, leur histoire est étrangement liée à celle de l’Amérique. Lorsque les tours jumelles s’effondrent sur New York en ce 11 septembre 2001, elles réduisent ainsi en cendres plus de 40 000 négatifs de photos de la famille Kennedy, entreposées dans un coffre-fort du bâtiment 5 du World Trade Center, non loin de l’appartement de leur auteur. Mort quelques mois plus tôt, Jacques Lowe fut un proche de JFK : il rencontra le président en 1958 et devint non seulement le photographe officiel de sa campagne présidentielle, mais aussi son photographe personnel. Sa fille, qui se trouvait dans l’appartement new-yorkais au moment du drame, est parvenue à sauver quelques planches parmi les milliers de photos se trouvant encore là. Aussi émouvant que personnel, cet album retrace la trajectoire incandescente d’un homme devenu une icône, dont l’épopée s’achève en tragédie. Il nous montre les multiples facettes de JFK – homme politique, mari et père – et nous plonge dans la vie du clan Kennedy à travers plus de deux cent cinquante clichés. On y voit John chez lui avec Jackie et leurs enfants, dans les coulisses de la convention démocrate, pendant la campagne présidentielle, à la Maison-Blanche et dans les voyages officiels… Le livre se ferme sur l’enterrement du président au cimetière national d’Arlington. Cinquante ans déjà, mais le mythe n’a semble-t-il pas pris une ride. Sur la tombe de John Fitzgerald Kennedy brûle une flamme éternelle et le souvenir de cet homme, à la personnalité fascinante malgré ses failles, n’est pas près de s’éteindre. Il l’est d’autant moins que les légendes sont éternelles et que, lorsque le monde va mal, l’humanité a besoin de belles histoires. So long, Jack.