Littérature étrangère

Carson McCullers

L'HORLOGE SANS AIGUILLES

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photo libraire

Chronique de Anaïs Ballin

Librairie Les mots et les choses (Boulogne-Billancourt)

L’année 2017 marque le centenaire de la naissance de Carson McCullers. L’occasion pour les éditions Stock de republier dans « La cosmopolite » cinq romans, préfacés ou postfacés par de grandes voix de la littérature française et américaine. Parmi ces voix, Tennessee Williams, Véronique Ovaldé, Nelly Kaprièlian, Arnaud Cathrine ou encore Eva Ionesco.

De Carson McCullers, on connaît surtout son premier roman : Le Cœur est un chasseur solitaire. L’auteure n’a alors que vingt-trois ans et le retentissement est immense. Les critiques sont unanimes, ou presque, devant l’audace de cette écriture et de ce souffle littéraire sans nul autre pareil. L’histoire de John Singer, Antonopoulos, Mick Kelly et de la myriade de personnages qui traversent le roman constitue l’entrée en littérature d’une écriture et surtout d’un regard sur la société. Regard au travers duquel elle ne cessera jamais de bousculer les idées préconçues et autres poncifs que l’on attribue à une littérature alors qualifiée, à tort, de « féminine ». Le roman sera adapté au cinéma par Robert Ellis Miller, tout comme Frankie Addams, adapté en 1985 par Claude Miller avec l’inoubliable Charlotte Gainsbourg dans L’Effrontée. Impossible pour autant de ne réduire Carson McCullers qu’à ce brillant premier roman. Car il y a aussi l’incroyable maturité du recueil de nouvelles La Ballade du café triste. Débarrassée d’un certain lyrisme, elle y développe une écriture lumineuse, limpide, détachée de tout ornement. Chacun de ses personnages est fait d’une sensibilité hors normes, sorte de galerie de freaks flamboyants et désespérément humains pour lesquels on se prend d’affection jusque dans leurs plus intimes imperfections. Et comment ne pas s’émouvoir des dissonances criantes de Miss Amelia, de son mètre quatre-vingt-dix, sa force herculéenne et sa candeur, face au cousin Lymon, de l’infinie sensibilité de ce vieil homme tentant d’apprendre l’idée de l’amour à un jeune vendeur de journaux, de cette adolescente qui ne voudrait respirer que par la musique ou de ce chœur de prisonniers dont le pas synchrone résonne telle une symphonie ? Sans oublier son dernier et remarquable roman, L’Horloge sans aiguilles, probablement le plus social d’entre tous, le plus lucide et le plus percutant aussi. Au fil de ses romans, jamais il n’est question de happy end ou de grandes leçons. Il n’est question que de petites grandeurs et d’immenses faiblesses. Carson McCullers ne cède rien à la nature du monde pas plus qu’à celle de l’être humain, et c’est en cela qu’elle leur donne toute leur beauté. C’est en cela qu’elle s’impose comme une révolution. Dès son premier roman, et en crescendo avec Reflets dans un œil d’or, Frankie Addams, L’Horloge sans aiguilles, elle poursuivra la construction d’une œuvre à la structure narrative infaillible. Tout y est d’une simplicité déconcertante et pourtant fait d’une constellation de détails, d’un rythme lancinant qui emporte sans même que l’on en prenne conscience, d’une efficacité quasi cinématographique. « McCullers écrit les plus beaux incipit qui soient », écrit Véronique Ovaldé, et l’on ne peut qu’acquiescer. Il y a quelque chose de l’ordre du burlesque, du renoncement et de la folie douce dans tous ces destins qui s’entrechoquent et s’aimantent jusqu’à former une galaxie de volontés déchues, d’espoirs vains, de bonheurs partagés et d’humanité sans fard.