Littérature française

Cédric Gras

L’Hiver aux trousses

illustration

Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

Olivier Barrot et Cédric Gras ont toujours « orienté » leurs voyages et leurs géographies intimes. Deux récits sensibles et lucides qui embrassent l’immensité entre le Rhin et la mer d’Okhotsk…

Mais qu’est-ce qui les jette donc sur les routes de l’Est ? Olivier Barrot, dont la grand-mère est originaire d’un shtetl de Bessarabie, l’actuelle Moldavie, a ressenti très jeune « l’attrait de cet Orient condamné de l’Europe ».Et c’est tout naturellement qu’il passe de l’autre côté du rideau de fer dès les années 1960, lesté de Cendrars, Rilke, Hrabal… Si l’autobiographie de Canetti a changé sa vie en lui révélant la richesse cosmopolite de l’esprit de la Mitteleuropa, le mythique Danube de Claudio Magris (Folio) l’accompagne entre Rhin et confins de la Hongrie, porte de l’Asie. Il tente avec ferveur de cerner ce creuset inépuisable d’où viennent intellectuels et artistes qui ont tant modelé la culture européenne. Quant à Cédric Gras, ce sont les montagnes de son enfance qui lui « ont offert le lointain à en avoir le vertige ». Emporté par le tropisme des terres froides, il arpente les routes glacées de toutes les Russies, parfois aux côtés de son ami Sylvain Tesson. Fasciné par l’automne, « une forme de perfection, une apogée avant les glaces, un sommet de l’harmonie », il se lance dans une longue poursuite, « une chasse aux feuilles rouges », comme l’appellent les Japonais, depuis la Yakoutie jusqu’à Vladivostok, chaque première chute de neige le précipitant vers le Sud. Le passé revient sous ses pas, de l’arrivée des Cosaques au xviie, à la colonisation difficile amorcée par les tsars puis programmée par le pouvoir soviétique. Familier de cet extrême Est, il témoigne de la présence accrue du commerce chinois, de l’exploitation massive du pétrole de Sakhaline et du bois de la taïga, du retour d’exil bolivien des Vieux-Croyants, du recul des cultures autochtones… Olivier Barrot et Cédric Gras éprouvent amoureusement le monde en tissant serré l’espace et la mémoire. Les mutations du présent s’éclairent sous leur regard.

Les autres chroniques du libraire