Beaux livres

Pierre Cornette de Saint-Cyr , Arnaud Cornette de Saint-Cyr

Le Musée (privé) le plus cher du monde

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photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

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Défricheurs, opportunistes, investisseurs voire spéculateurs, particuliers ou entités financières… qui sont les collectionneurs d’œuvres d’art ? Quels rapports entre la passion des Stein, l’héritage des Flamands du XVIIIe siècle et les enchères emportées à coup de millions de dollars par des milliardaires ?

Le collectionneur de peintures est un drôle d’oiseau au plumage bigarré. Guidé par sa passion, sa collection exprime sa vision du monde, sa sensibilité coïncidant avec l’expression de l’artiste. Les grandes collections seraient ainsi « insensibles aux modes ». Plus de cent millions de dollars pour Le garçon à la pipe de Picasso, presque soixante-seize millions pour le Massacre des innocents de Rubens… Le grand collectionneur est aussi un sérieux investisseur ! Enchères record, rumeurs, mystères, spéculation, le marché de l’art ferait-il perdre la tête au monde de l’art ? En présentant les cent œuvres les plus chères du monde, Pierre et Arnaud Cornette de Saint-Cyr décryptent le mécanisme des enchères, les rivalités entre collectionneurs et marchands, et le poids grandissant des puissances émergentes, de la Chine aux principautés du Golfe, en passant par les oligarques russes ou ukrainiens comme Roman Abramovitch qui, un jour, achète le Triptyque de Francis Bacon pour quatre-vingt-six millions de dollars, et le lendemain enlève Benefits supervisor Sleeping de Lucian Freund pour un peu moins de la moitié. Magnats, financiers, esthètes, les grands collectionneurs sont tout cela à la fois. Anonymes ou connus, prêts à exposer leur collection privée ou à être enterrés avec leur toile fétiche, comme Ryoei Saito. Lucien et Marcelle Bourdon, grands découvreurs de talents, avaient, eux, choisi de vendre leur collection au profit de la société protectrice des animaux.

 

Léo et Gertrude Stein, des précurseurs

« Comme c’est drôle, tous ces gens que j’ai connus quand ils n’étaient rien, maintenant les journaux en parlent tout le temps et l’autre soir, à la radio, j’ai entendu le nom de M. Picasso. On parle même dans les journaux de M. Braque, qui accrochait pour nous les grands tableaux, parce qu’il était le plus fort de tous, pendant que le concierge enfonçait les clous, et est-ce incroyable, on met au Louvre un tableau de ce pauvre petit M. Rousseau, qui était si timide qu’il n’osait même pas frapper à la porte. » Voilà en quelques mots l’esprit de la collection Stein. Venus d’Amérique, le frère et la sœur courent les salons, les marchands, les ateliers, toujours à l’affût. En moins d’une décennie, au début du XXe siècle, Léo et Gertrude Stein font de leur appartement de la rue de Fleurus le point de ralliement des artistes qui posent alors les bases de l’art moderne. Toulouse-Lautrec, Cézanne, Gauguin, Renoir, Picasso…, ils sont tous là. Et pas seulement accrochés au mur. L’appartement des Stein est une vraie ruche, un lieu de rencontres et de découvertes. C’est chez eux que Picasso aurait découvert l’art africain. C’est chez eux aussi que s’écrit l’histoire de l’art moderne. Riches, sans doute, mais surtout visionnaires et créatifs puisque Gertrude Stein voulait « écrire comme ils peignent ». L’exposition renoue avec l’esprit des Stein, présentant des œuvres venues du monde entier qui appartiennent à des collections particulières habituellement invisibles au commun des mortels.

 

Ilone et George Kremer,des héritiers

L’exposition de la collection Ilone et George Kremer à la Pinacothèque illustre doublement la notion de collectionneur. Par son fonctionnement d’abord : la collection est détenue et gérée par la Fondation Aurea Aetas, dont l’objectif est de promouvoir l’art en général et l’art néerlandais en particulier à travers des acquisitions, un programme de restauration et des prêts internationaux. Elle met en scène cinquante-sept œuvres de maîtres hollandais et flamands, de Rembrandt à Franz Hals. Surtout, la collection reflète une évolution de l’histoire de la peinture au Siècle d’Or. Collectionner devient à cette époque le symbole d’une classe de marchands ayant fait fortune dans le commerce international et le transport maritime. L’art n’est plus la chasse gardée des aristocrates, comme partout ailleurs en Europe. L’utilisation du clair-obscur traduit cette évolution, ainsi que les règles de simplicité et de proximité imposées par le Concile de Trente. Ainsi, grâce à leur fortune acquise dans le commerce international, Ilone et George Kremer sont aujourd’hui les dignes descendants des collectionneurs de l’âge d’or hollandais !

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