Essais

Diana Pinto

Israël a déménagé

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photo libraire

Chronique de Samuel Hoppe

Librairie Volume (Paris)

Du point de vue occidental, Israël n’existe pas sans la Palestine et le conflit qui les oppose. Il est rare de lire un article traitant d’autre chose que cette opposition qui semble sans issue. Deux livres offrent de découvrir que l’actualité du pays n’est pas si limitée et que son peuple conteste la politique de l’État en explorant d’autres possibles.

En juin 2011, Daphne Leef, Israélienne de Tel-Aviv âgée de 25 ans cherche à louer un appartement. Elle prend rapidement conscience de la quasi-impossibilité de mener à bien ce projet en constatant le coût exorbitant des loyers, quand bien même elle appartient à la classe moyenne aisée et éduquée. Peu motivée par l’idée de retourner vivre chez ses parents, elle lance, par l’intermédiaire de Facebook, une invitation à ses amis et à la jeunesse d’Israël à manifester son mécontentement envers l’État quant à la cherté de la vie. Trois mille cinq-cents personnes répondent à son appel. Leurs tentes sont plantées le 14 juillet sur le très chic et agréablement ombragé boulevard Rothschild de Tel-Aviv. Tout au long de l’été 2011, les grandes villes du pays résonneront aux cris de la colère de la jeunesse israélienne contre un État qui paraît de plus en plus déconnecté de la société et qui a renoncé à ses missions premières – dispenser une éducation de qualité, permettre à ses citoyens de se loger correctement, leur offrir un système de protection sociale décent… – en s’abandonnant tout entier aux dogmes du néo-libéralisme. Dominique Vidal, journaliste et historien, et Michel Warschawski, militant pacifiste, tous deux fins connaisseurs de la réalité locale, sont partis à la rencontre des « Indignés » d’Israël. En vingt portraits, ils composent la mosaïque d’un nouveau souffle israélien porté par le désir d’une vie meilleure, libérée de la politique de la peur qui génère et reproduit inlassablement la haine de l’autre, de tous les autres. Aux côtés de Daphne Leef, on entend les voix enthousiasmantes de la député féministe arabe Haneen Zoabi, du dirigeant de l’association Briser le silence*, Yehuda Shaul, de l’ancien Président de la Knesset, Avraham Burg, ou encore du brillant lycéen-surfeur David. Toutes ces voix appellent à créer une société dans laquelle vivre ensemble et en paix serait enfin possible.

Cette question du vivre ensemble traverse aussi le livre de Diana Pinto qui, très intéressée par l’histoire contemporaine israélienne, est partie à la rencontre du pays et de la communauté juive. De l’ultramoderne aéroport Ben-Gourion aux tentes de l’été 2011, elle propose un voyage dans ce pays qui a tourné le dos à l’Israël des origines, édifié après le traumatisme de la Shoah et issu du creuset européen. Depuis une quinzaine d’années, Israël a abdiqué un certain nombre de ses idéaux fondateurs en délaissant ses tropismes traditionnels européens pour se tourner vers la Chine et les pays émergents que sont l’Inde, le Brésil, la Russie ou encore le continent africain, afin de faire fructifier son insolente croissance économique portée par l’industrie des technologies de pointe. Ce faisant, le pays a laissé croître l’orthodoxie religieuse et un certain conservatisme. Dans Israël a déménagé, on découvre un pays différent de celui décrit par Vidal et Warschawski. Diana Pinto présente une société tournée vers l’extérieur, peu préoccupée par le sort de ses voisins palestiniens, un pays qui aurait déménagé loin des problèmes du Proche-Orient et que ses relations commerciales intéressent davantage que l’amélioration des conditions de vie de ses voisins dont il se protège en élevant des murs, un pays où les ultra-religieux se déplacent en Segway ** dans les rues de Jérusalem… Mais pour aller où ? demandent ces deux livres.

*Elle veille à faire connaître le comportement de l’armée dans les territoires occupés.

**Sorte de trottinette électrique munie d’un gyroscope qui lui permet de tenir verticalement.